« En ce temps-là, pour ne pas châtier
les coupables, on maltraitait des
filles. On allait même jusqu’à les
tondre. »
Comprenne
qui voudra
Moi mon
remords ce fut
La
malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime
raisonnable
À la robe
déchirée
Au regard
d’enfant perdue
Découronnée
défigurée
Celle qui
ressemble aux morts
Qui sont
morts pour être aimés
Une fille
faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir
crachat des ténèbres
Une fille
galante
Comme une
aurore de premier mai
La plus
aimable bête
Souillée et
qui n’a pas compris
Qu’elle est
souillée
Une bête
prise au piège
Des
amateurs de beauté
Et ma mère
la femme
Voudrait
bien dorloter
Cette image
idéale
De son
malheur sur terre.
Paul Éluard
Paul
Éluard (1895- 1952) est un auteur français, ambassadeur du mouvement dadaïste dans un premier temps,
puis du surréalisme par la suite. Homme de gauche, ses penchants politiques
vont vers le communisme. Sa notoriété, il la doit à son talent de poète amoureux, puisqu’il a
eu plusieurs muses dans sa vie qui ont toutes profondément inspiré sa poésie.
Je ne citerai que la plus charismatique d’entre elles, Gala, qui finit
d’ailleurs par le quitter, pour rejoindre le peintre surréaliste Dali. Mais
Éluard est également un poète militant, et c’est avant tout cet aspect de sa
personnalité qui marque ses contemporains.
Sa vie durant, il va défendre des valeurs pacifistes. En effet, il est très
marqué par ses années de jeunesse où il est incorporé comme infirmier sur le
front de 1914, et exerce ainsi dans un
hôpital militaire. Il y côtoie de près les horreurs de la guerre, la haine,
la face obscure de l’être humain et en
garde une vive révolte qui le mène vers l’engagement idéologique au
cours de la Seconde Guerre mondiale. Éluard devient une figure emblématique
de la résistance, et son nom lié à la
lutte contre l’invasion nazie.
Paul
Eluard écrit le poème « Comprenne qui voudra » en 1944, à la
Libération. Il est publié clandestinement dans le recueil de poèmes « Au
rendez-vous allemand ». Il écrira encore : « (…) Je revois
devant la boutique d’un coiffeur de la rue Grenelle, une magnifique chevelure
féminine gisant sur le pavé. Je revois des idiotes lamentables tremblant de
peur sous les rires de la foule. Elles n’avaient pas vendu la France et elles
n’avaient souvent rien vendu du tout. (…) ».
Car être
tondue, c’était le sort réservé à celles que l’on accusait à tord ou à
raison, d’avoir couché avec un Allemand en échange d’avantages, d’avoir
collaboré en fournissant des
informations sensibles, ou d’avoir simplement été au service de l’occupant
(femmes de ménage, lingères, cuisinières, etc). Elles étaient perçues
comme des femmes coupables
d’infidélité à la nation. Elles étaient dénoncées, sermonnées, mises à
genoux. On dessinait des croix gammées sur leur corps. Elles étaient moquées par
les foules, exhibées dans les rues le crâne rasé, parfois nues. On leur
crachait dessus, on leur lançait des projectiles dégradants. Quelque fois
sous l’objectif d’appareils photo ou de caméras. Vous pouvez visionner un court extrait de ces films sur le site http://www.youtube.com/watch?v=Fh7ss-E9f78. Édifiant.
Il faut
tout de même préciser que « le châtiment de tonte de la chevelure d’une
femme est ancien et présent dans plusieurs cultures : on en trouve des
exemples dans la Bible, en Germanie antique, chez les Wisigoths, dans un
capitulaire carolingien de 805 et il est déjà utilisé au Moyen-âge contre les
femmes adultères. Par l’ordonnance contre les Roms du 11 juillet 1682,
Colbert condamne, en dehors de tout délit, les hommes aux galères à
perpétuité et les femmes à être tondues. » (Wikipédia).
Au cours
du XXe siècle, l’Allemagne de Weimar, l’Allemagne nazie, l’Espagne
franquiste ont fait usage de cette punition. Après le Seconde Guerre
mondiale, la France, la Belgique, l’Italie, la Norvège, et dans une moindre mesure, les Pays-Bas et
le Danemark.
En
écrivant ce poème, Paul Éluard s’inscrit donc dans un courant de pensée
contraire au sentiment général. Seuls certains intellectuels comme Sartre se
positionnent contre cette forme d’humiliation. À la libération, les gens
venaient de vivre des années d’atrocités, ils portaient un regard impitoyable
sur celles qu’ils considéraient comme des coupables. Ce n’est qu’avec le
recul et l’apaisement procuré par le temps qui passe, que la société jugera
ces femmes de manière plus indulgente : soit comme des naïves
amoureuses, soit comme de simples victimes de la guerre.
Une
triste page de l’histoire…
Voici
encore les références de deux livres traitant du sujet :
- « Femmes
tondues France – libération », de Julie Desmarais, éd.Presses Université
Laval
- « La
France virile, les femmes tondues à la libération » de Fabrice Virgili,
éd.Payot
Georges
Brassens a composé une chanson intitulée « la tondue ». Vous pouvez
l’écouter sur votre site musical préféré.
|
Super l'explication !!!!!
RépondreSupprimerj'ai adoré!!!!!!!!!
RépondreSupprimerMerci pour votre visite, à bientôt!
RépondreSupprimer