Boris Vian |
Les mères vous font en
saignant
Et vous tiennent toute
la vie
Par un ruban de chair
à vif
On est élevé dans des
cages
On vit en mâchant des
morceaux
De seins arrachés en
saignant
Qu’on accroche au bord
des berceaux
On a du sang sur tout
le corps
Et comme on n’aime pas
le voir
On fait couler celui
des autres
Un jour, il n’y en
aura plus
On sera libres.
Boris Vian
Extrait de
« Cantilènes en gelée »
Boris Vian (1920 –
1959), ingénieur de formation, est un touche- à- tout qui a écrit des romans, de la poésie, des
pièces de théâtre, des chansons (vous trouverez sa célèbre chanson « le
déserteur » dans la rubrique « chansons » de ce site), des
scénarios de films, sous son nom ou sous l’un de ses nombreux pseudonymes
tels que Vernon Sullivan, Bisou Ravi, Butagaz, etc. De plus, il a également
été un trompettiste émérite, passionné de jazz, qui jouait
professionnellement et collaborait à des revues musicales, ainsi qu’à des
émissions radiophoniques sur le sujet. Il a aussi été traducteur (anglais – français),
acteur, peintre…ouf… et cette impressionnante
liste est loin d’être exhaustive !
Pessimiste de caractère, il adorait pourtant faire la fête en musique
et vouait une véritable passion à l’absurde et aux jeux de mots. Il était
d’ailleurs très ami avec Raymond Queneau, qu’il aimait comme un père et avec
qui il pouvait partager son penchant. Ces particularités lui forgeaient
une personnalité hors normes. On la
perçoit dans ses œuvres teintées de fantaisie, avec un goût prononcé pour
l’humour et un style d’écriture qui s’affranchit des lieux communs. Sa
boulimie de création, son hyperactivité artistique est sans conteste liée à
un parcours de vie atypique, puisqu’à l’âge de 12 ans, les médecins
diagnostiquent chez lui une insuffisance aortique. Ils lui annoncent alors,
qu’il ne vivra pas au-delà de la quarantaine…Malheureusement, les faits leur
donneront raison, puisque Boris Vian est décédé d’une crise cardiaque à l’âge
de 39 ans, lors du visionnement de l’adaptation cinématographique de son
roman « J’irai cracher sur vos tombes », contre laquelle il s’insurgeait…
Pour comprendre «La vie en rouge », poème écrit en 1947ou 1948,
il est important de l’éclairer à la lumière d’une enfance plutôt facile et
gaie, mais assombrie par le caractère anxieux et autoritaire de Madame Vian.
La grave maladie cardiaque de Boris, ainsi que sa santé fragile vont décupler
son angoisse de mère et son besoin de surprotection. Dès lors, lui-même ainsi
que son frère et sa soeur seront littéralement couvés par leur famille. Tous
les jeux sont favorisés à condition que leur mère puisse exercer son
contrôle. Ses parents vont même constuire une salle de bal au fond de leur
jardin pour que leurs enfants puissent
organiser des fêtes sans devoir aller chez les autres…
(Source :Wikipédia). Bref, Boris Vian a été très marqué par cette
mainmise maternelle qui a étouffé son enfance et qui l’a tenu éloigné des
réalités d’une époque chahutée.
Ce vécu va nourrir son œuvre, puisqu’en 1950, il publie le roman
« L’herbe rouge », où l’ingénieur Wolf, son personnage principal y
explique à Monsieur Perle, qui l’interroge sur ses
parents : « Ils avaient toujours peur pour moi, je ne pouvais
pas me pencher aux fenêtres, je ne traversais pas la rue tout seul, il
suffisait qu’il y ait un peu de vent pour qu’on me mette ma peau de bique
[…] ». Mais, c’est surtout en 1953, dans « L’arrache-cœur »
qu’il dissèque le thème de l’amour maternel : il y devient déviant et
destructeur jusqu’à la caricature. Dans ce sens, « la vie en rouge »
est réellement l’ébauche annonciatrice de « l’arrache-cœur », où
une mère pathologiquement possessive finit par mettre en cage ses enfants.
Dès lors, on comprend mieux le traumatisme décrit dans « La vie
en rouge », si on fait le parallèle avec le vécu de Boris Vian. Bien
entendu, la description est sanguinolente et cauchemardesque, son regard
étant filtré par le prisme surréaliste qu’il affectionne tant. C’est lui qui
donne toute sa force morbide à un poème finalement très visuel. (Je pense d’ailleurs,
que des peintres comme Dali ou Frida Kahlo auraient pu en faire un thème
pictural.) Les deux derniers vers sont si désabusés, qu’ils en deviennent
terribles. Un texte vraiment effrayant de ressentiment. Que de souffrances …
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