Harcelée par ses créanciers, Rebecca est obligée de freiner ses dépenses : fini le shopping, vive l’austérité !
[…]
J’entame mon sixième jour d’austérité et je vais affronter
l’épreuve cruciale du premier week-end.[…] Mais j’ai bien trop de volonté pour
craquer. Ma journée est totalement remplie. […] Au lieu de me complaire dans un
matérialisme stupide, je vais me cultiver. J’ai choisi le Victoria and Albert
Museum, car je n’y suis jamais allée. Je ne sais même pas ce qu’on peut y voir.
Des statues de la reine Victoria et du prince Albert ?
Je suis persuadée que ce sera passionnant et stimulant. Et
surtout gratuit !
Le soleil brille quand je sors du métro à South Kensington,
et j’avance à grandes enjambées, très contente de moi. En général, je gaspille
mes matinées du samedi devant Live and
Kicking 1 et ensuite je me prépare à faire les magasins. Mais
voyez ! Je me sens soudain mûre et citadine comme un personnage de Woody
Allen. Il ne me manque plus qu’une longue écharpe en laine et des lunettes de
soleil pour ressembler à Diane Keaton. (Une Diane Keaton jeune, évidemment, et
sans les vêtements soixante-dix.)
Lundi, quand on me demandera comment s’est passé mon
week-end, je pourrai lâcher, l’air de rien : « Je suis allée au V
& A. » Non, voilà ce que je répondrai : « J’ai fait une
expo. » C’est beaucoup plus cool. (Pourquoi les gens disent-ils qu’ils ont
fait une exposition ? On dirait que ce sont eux qui ont peint ou sculpté
les œuvres !) Alors on s’étonnera : « Vraiment ? Je ne
savais pas que l’art vous passionnait, Rebecca. » Et je poursuivrai, d’un
ton suffisant : « Mais si. Je passe la plupart de mon temps
libre dans les musées. » J’aurai droit à un regard impressionné et…
Absorbée par mes pensées, je dépasse l’entrée.
Imbécile ! […]
Je retourne sur mes pas et pénètre dans le hall d’entrée à
la façon d’une habituée. Pas comme ce groupe de touristes japonais cramponnés à
leur guide. Je ne suis pas une touriste, moi, me dis-je avec fierté. Ceci est
mon patrimoine. Ma culture. Je prends un plan d’un air dégagé comme si c’était
superflu, et consulte une liste de conférences sur des sujets tels que les
céramiques de la dynastie Yuan et du début de la dynastie Ming. Puis, avec
désinvolture, je me dirige vers la première galerie.
-Mademoiselle ! me crie une femme derrière un bureau.
Avez-vous payé ?
Si j’ai quoi ? Les musées sont gratuits !
Oh ! je vois, elle plaisante. Je ris aimablement et poursuis mon chemin.
-Mademoiselle !
Sa voix est cassante et un type de la sécurité surgit de
nulle part.
-Avez-vous pris un ticket ?
-Mais, c’est gratuit !
-J’ai bien peur que non, dit-elle en indiquant un panneau
derrière moi.
Je me retourne pour le lire et manque m’évanouir.
Entrée : 5,00£.
Je suis en état de choc. Dans quel monde vivons-nous ?
Ils font payer l’entrée des musées. C’est scandaleux ! Tout le monde sait
que les musées doivent être gratuits. Sinon, personne ne les visitera. Exclue
par une barrière financière dissuasive, une génération entière ignorera son
héritage culturel. Le pays sera réduit au silence et la civilisation se
retrouvera à deux doigts de l’effondrement. C’est ce que vous cherchez, Tony
Blair ?
D’ailleurs, je n’ai pas 5 livres. J’ai fait exprès de sortir
sans argent […]. Quelle barbe ! Me voilà prête à me cultiver et à vouloir entrer pour regarder les …
enfin, tout ce qui se trouve à l’intérieur, et je ne peux pas !
À présent, les touristes japonais me dévisagent comme une
criminelle. Partez ! Allez regarder de l’art.
-Nous prenons les cartes de crédit, m’informe la femme.
Visa, Switch, American Express.
-Oh ! Eh bien…D’accord.
-La carte d’abonnement est à 15 livres. Elle vous donne un
droit d’entrée illimité pendant un an.
Droit d’entrée illimité pour l’année ! Hé, une minute.
D’après David E. Barton, vous devez toujours évaluer « le coût
d’utilisation » d’un achat, qu’on obtient en divisant le prix par le
nombre d’utilisations de l’objet. Admettons qu’à partir d’aujourd’hui je me
rende au V & A une fois par mois (ce qui, je pense, est réaliste), la
visite me coûtera 1 livre 25 seulement si j’achète un abonnement.
C’est une affaire. À la réflexion, c’est même un très bon
investissement.
-D’accord, je la prends, dis-je en tendant ma carte
bancaire.
À moi la culture !
Je commence ma visite de façon très consciencieuse. Je
consulte mon plan, je regarde chaque pièce exposée et lis attentivement tous
les petits cartons.
Calice en argent.
Pays-Bas. XVI e siècle.
Planche représentant
la sainte Trinité. Italie. Milieu du XV e siècle.
Coupe en faïence bleu
et blanc. Début du XVII e.
Cette coupe est magnifique, me dis-je, soudain
captivée. Je me demande combien elle
peut valoir. Cher, sans doute… Je cherche une étiquette quand je réalise que je
suis dans un musée. Bien sûr. Ce n’est pas un magasin. Aucun prix ne figure
nulle part.
À mon avis, c’est une erreur car cela supprime le côté
amusant. Marcher en ne faisant que regarder devient à la longue ennuyeux.
Tandis que si les prix étaient indiqués, les visiteurs seraient beaucoup plus
intéressés. On admirerait un calice en
argent, une statue en marbre ou la Joconde
pour sa beauté, son importance historique et tout et tout, puis on consulterait
l’étiquette et on s’exclamerait, le souffle coupé : « Tu as vu
le prix de celle-là ! »Voilà qui égaierait vraiment la visite.
Pourquoi ne pas écrire au Victoria and Albert Museum pour
leur suggérer cette idée ? Après tout, j’ai une carte d’abonnement. Mon
opinion devrait retenir leur attention.
En attendant, allons voir la vitrine suivante.
Verre à pied taillé.
Angleterre. Milieu du XV e siècle.
Mon Dieu, je meurs
d’envie d’une tasse de café. Depuis combien de temps suis-je ici ? Au
moins…
Ah ! Seulement quinze minutes.
Quand je parviens à la galerie d’histoire de la mode, je
deviens rigoureuse et m’intéresse au sujet en tant que spécialiste. J’y passe
plus de temps que partout ailleurs. Mais, bientôt, les robes et les chaussures
cèdent la place à encore plus de statues et de petites choses délicates dans
les vitrines. Je regarde ma montre sans arrêt et mes pieds me font
souffrir…Finalement, je m’écroule sur un canapé.
Comprenez-moi bien, j’aime les musées. Vraiment. Et l’art
coréen me passionne. Seulement, les sols sont durs, je porte des bottes très
serrées, il fait une chaleur torride et la veste que j’ai enlevée glisse toutes
les cinq minutes de mon bras. Chose étrange, j’entends é intervalles réguliers
le son d’une caisse enregistreuse. Ce doit être mon imagination.
Assise là, le regard dans le vide, je me demande comment
rassembler mon énergie pour me remettre debout, quand le groupe de touristes
japonais pénètre dans la galerie. Je me sens obligée de me lever et de
m’intéresser à quelque chose. Je contemple vaguement une toile, puis descends
un couloir aux murs recouverts de vieux carreaux indiens. Cela me rappelle que
l’on devrait se procurer le catalogue Fired
Earth et recarreler la salle de bains, lorsque j’aperçois une scène
déroutante à travers une grille métallique. Interloquée, je m’arrête.
Est-ce un rêve ? Un mirage ? Je distingue une
caisse, des gens faisant la queue et une vitrine avec des étiquettes…
Oh ! mon Dieu, j’avais raison ! C’est une
boutique ! Il y a une boutique. Là, juste devant moi !
Tout à coup, mes pieds retrouvent du tonus, mon énergie est
revenue comme par miracle. En suivant le son du tiroir-caisse, je tourne le
coin et débouche sur l’entrée de la boutique. Sur le seuil, je marque une
pause. Surtout, ne te berce pas trop d’illusions, me dis-je, et ne sois pas
déçue s’ils n’ont que des marque-pages et des torchons.
Mais ce n’est absolument pas le cas. Bon sang, c’est
fantastique ! Pourquoi cet endroit n’est-il pas plus connu ? Il y a
tout un rayon de bijoux superbes, des tas de livres d’art passionnants, des
poteries incroyables, des cartes de vœux, et …
Aïe ! Je suis censée ne rien dépenser aujourd’hui,
non ?
C’est horrible. À quoi sert de découvrir une nouvelle
boutique si on ne peut rien y acheter ? Autour de moi, tout le monde fait
des emplettes, tout le monde s’amuse. Abattue, je rôde près d’un étalage de
tasses, observant une Australienne prendre une pile de livres sur la sculpture.
Elle bavarde avec le vendeur et soudain, je l’entends dire quelque chose au
sujet de Noël. Et là, j’ai un éclair de pur génie.
Les courses de Noël ! Je peux toutes les effectuer
ici ! Je sais qu’en mars, c’est un peu tôt, mais pourquoi ne pas être
prévoyante ? Et quand les fêtes arriveront, je n’aurai pas à affronter les
foules monstrueuses. Comment n’y ai-je pas songé plus tôt ? De plus, je
n’enfreins aucune règle, puisque de toute façon je devrai bien acheter des
cadeaux à un moment ou à un autre. Je me contente d’avancer un peu le
processus. Mon raisonnement tient debout.
C’est ainsi qu’une heure plus tard, je sors, radieuse, avec
deux gros sacs, J’ai pris un album de gravures de William Morris, un puzzle en
bois d’autrefois, un livre de photos de mode et une superbe théière en
céramique. J’adore le shopping de Noël. J’ignore ce que je vais offrir et à
qui, mais l’important est d’avoir sélectionné des articles intemporels et
exceptionnels qui mettront en valeur n’importe quel intérieur. (C’est du moins
le cas de la théière, comme l’indique la notice.) Je pense m’en être bien
sortie.
Cette matinée a été une réussite totale. En quittant le
musée, je me suis sentie comblée. Cela démontre l’effet positif sur l’âme d’un
pur moment de culture. À partir d’aujourd’hui, je passerai tous mes samedis
matin dans un musée.
[…]
Extrait du livre : « Confessions d’une accro du
shopping », de Sophie Kinsella, éd. Pocket
Note :
1 : Émission de variétés entrecoupée
d’interviews de stars.
L’auteure :
Sophie Kinsella |
Madeleine Wickham, alias Sophie Kinsella, est née à Londres
en 1969. Elle se tourne d’abord vers une carrière de journaliste financier, avant
de publier son premier ouvrage en 1999 : « Une maison de
rêve ». À partir de là, les romans à succès s’enchaînent. Auteure
prolifique, elle est connue avant tout pour sa plume humoristique. « Confessions
d’une accro du shopping » est publié en 2002. C’est le premier tome de la
série « L’accro du shopping » :
-2002 : « Confessions d’une accro du
shopping »
-2003 : « L’accro du shopping à Manhattan »
-2004 : « L’accro du shopping dit oui »
-2006 : « L’accro du shopping a une sœur »
-2oo8 : « L’accro du shopping attend un
bébé »
-2011 : « Mini accro du shopping »
L’histoire :
Becky Bloomwood est
une jeune femme de 25 ans qui travaille comme journaliste financier. Elle est
plutôt jolie, gaie, optimiste, intelligente, pétillante, inventive… Que de
qualités ! Alors où est le problème ? Eh bien, tout serait parfait,
si elle n’était pas aussi insouciante, manipulatrice, immature, futile,
calculatrice, menteuse, puérile, mythomane, culottée et…ouf…dépensière : une vraie compulsive
de la carte de crédit, une incorrigible addict au magasin, une acheteuse
effrénée de …tout. Un cocktail détonnant, qui mène Becky au bord du gouffre,
lorsque les banques ne cautionnent plus ses excès. Que faire ? Sans carte
de crédit, son monde et surtout, son
moral s’effondrent ! C’est vraiment intenable… Que faire sans fringues de
marque, sans sorties restaurant, sans chaussures chic, bref comment se passer
de ces petits luxes qui pimentent la vie ?
Dès lors, le lecteur
est aux premières loges pour assister à
ses désopilantes tentatives
d’abstinence et d’austérité. Les situations cocasses s’enchaînent.
Parviendra-t-elle à changer ? Résistera-t-elle longtemps à l’attrait
magique des soldes ? Et Luke Brandon, un riche et séduisant homme
d’affaires, pourra-t-il lui procurer assez d’allant pour se sortir de cette
situation déprimante ? À vous de lire la suite…
Quelques citations :
-« Je pense que le shopping devrait figurer dans les
risques cardio-vasculaires. Mon cœur ne bat jamais aussi fort que lorsque je
vois un panneau ``soldé à 50 %’’. » p.40
-« J’adore les vêtements neufs. Si l’on pouvait en
porter tous les jours, la dépression nerveuse n’existerait plus. » p. 215
-« En général, j’utilise simultanément deux
systèmes : les prix réels et les prix pour maman. » p. 61
-« Mon père m’a conseillé deux systèmes : dépenser
moins ou gagner plus. » p.130
Mon avis :
Les ingrédients pour
faire une bonne histoire des aventures de Becky Bloomwood sont présents : l’histoire est en effet
très bien amenée. Mais les situations sont parfois si rocambolesques, qu’elles
finissent par manquer totalement de crédibilité. Pourtant, malgré la présence d’une multitude
de failles dans le récit, tout est si finement enrobé d’humour, qu’on se prend
vite au jeu et qu’on attend la prochaine scène avec impatience…D’ailleurs, la
profusion de dialogues apporte une vie et un dynamisme qui empêche le lecteur
d’être gagné par l’ennui. Même l’héroïne, qui possède en majuscule le Don
d’exaspérer le lecteur, devient au fil
des pages, un personnage attachant et sympathique…
Au final, que faut-il en penser ? Le livre m’a amusée,
comment ne pas céder à l’humour de Kinsella ? C’est un livre à dévorer
lorsqu’on a le moral dans les chaussettes et qu’on cherche à se distraire. Pour
le reste, vous n’êtes pas à la bonne adresses : amateurs de belles
tournures, d’envolées lyriques, de séismes neuronaux, ou de mondes
extraordinaires, passez votre chemin, il n’y a rien à voir…
Une adaptation cinématographique du livre a été réalisée en
2009 par P.J. Hogan, sous le titre : « Confessions d’une accro
du shopping ».
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