jeudi 24 janvier 2013

Vieux et vieille - Jean-Antoine Petit-Senn



Moi dont la soixantaine a mûri la sagesse,
Qui n’ai plus pour l’amour qu’un sourire moqueur,
Je viens de rencontrer ma première maîtresse
Dont l’image dormait au profond de mon cœur !

Je ne sais trop comment je vins à reconnaître,
Sous les besicles d’or à cheval sur son nez,
L’œil où ma jeune ardeur un jour avait dû naître,
L’astre qui me versait des rayons fortunés.

Nous tînmes les propos que partout l’on essuie,
Honteux de nous revoir courbés et tremblotants ;
Nous parlâmes beaucoup du beau temps, de la pluie,
Hélas ! nous ne parlions jadis que du beau temps !

Nos cœurs, pleins autrefois, étaient devenus vides,
Comme deux vieux autels où s’éteignit le feu ;
Moi, je comptais ses dents ; elle, comptait mes rides :
Elle en trouvait beaucoup, moi j’en trouvais fort peu.

Je cherchais vainement sur son pâle visage
Une joue où la pêche étalait sa fraîcheur,
Des contours que le temps foula sur son passage
Et la place où ma lèvre effleurait leur blancheur.

Mais, émus tous les deux, pourtant nous nous quittâmes,
Car de nos jours passés les soleils s’éveillaient ;
On se serra la main et puis nous la portâmes
À nos yeux moins éteints, où des larmes brillaient.

                                               Jean-Antoine Petit-Senn












L’auteur :

Jean-Antoine Petit-Senn
Un texte du poète suisse  Jean-Antoine Petit, dit Petit-Senn ou  John Petit-Senn (1792 – 1870).  Il est tiré du recueil de poèmes posthume « Œuvres anciennes et nouvelles » (1871).

Ce poète genevois entretenait une correspondance avec Chateaubriand, Hugo,  Lamartine et Napoléon III. Il aimait à recevoir chez lui des personnages illustres qui appréciaient sa bonne humeur et sa plume avisée. Chateaubriand lui a d’ailleurs écrit : « Je vous félicite de rire avec grâce, c’est un talent que Voltaire a laissé dans votre pays. »

Le poème :

Un poème plein de tendresse et d’humour que je trouve magnifique. Sa grande sensibilité couplée à une lucidité amusée  fait des merveilles. Voilà un auteur qu’il faudrait redécouvrir : ses écrits se sont malheureusement égarés dans les couloirs du temps. Dommage…

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