« La naissance de Vénus » de Sandro Botticelli |
Et la mer est amère, et l’amour est amer,
L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer,
Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.
Celui qui craint les eaux, qu’il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu’on souffre pour aimer,
Qu’il ne se laisse pas à l’amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard 1 de naufrage.
Le feu sort de l’amour, sa mère sort de l’eau,
Mais l’eau contre le feu ne peut fournir des armes.
Si l’eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j’eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.
Pierre de Marbeuf
Note :
1 : « Sans hasard de naufrage » signifie « sans risque de naufrage »
Le poème :
Pierre de Marbeuf |
Un poème écrit par Pierre de Marbeuf (1596-1645) et publié en 1628 dans le recueil : « Recueil des vers de Pierre de Marbeuf».
Ce poème, sobrement intitulé « Sonnet » par le poète, se lit dans le chapitre dédié à Philis, qui se compose de plusieurs textes. De nos jours, on le désigne couramment sous le titre « Et la mer et l’amour » ou « A Philis ».
C’est le poème le plus connu de cet auteur.
Eléments d’analyse, mon avis :
Ce poème baroque en alexandrins a traversé les siècles auréolé de toute sa virtuosité et de son prestige. Lisez-le lentement, à voix haute : Pierre de Marbeuf joue habilement sur la musicalité des mots et des rimes, créant des échos qui habillent avantageusement le sonnet et interpellent l’auditeur. Dans cet exercice de style, il met en parallèle la mer et l’amour, inventant des ponts ou des jeux de mots, associant des idées, en recherche constante d’homonymies( la mer, l’amer, la mère). Ces vers chantants séduisent incontestablement l’oreille. Attardons-nous maintenant sur le contenu du poème.
L’amour est pétri de souffrances et de désillusions. Qui s’y risque, s’expose à des aléas indomptables, car l’amour, comme la mer, est inconstance et incessante mouvance. La douleur d’une rupture est comme un embrasement du cœur que rien ne peut soulager. Regarde, ma belle, dans quel état tu m’as laissé…Voilà, pour faire court, le sens des vers de Marbeuf.
Des références mythologiques sont introduites dès le deuxième quatrain et méritent, peut-être, quelques petites explications :
-le feu apparaît symboliquement en référence à Cupidon, dieu de l’amour, qui embrase le cœur de ses victimes en leur décochant une flèche ardente.
-plus bas, l’auteur ajoute que « la mère de l’amour » a « la mer pour berceau ».Effectivement, la mère de Cupidon est Vénus (Aphrodite), déesse de la beauté et de l’amour. Elle est née d’un coquillage et a émergé des flots marins, portée par les vagues (voir ci-dessus sa représentation la plus célèbre, peinte vers 1485 par Sandro Botticelli).
Dans la dernière partie du poème, l’auteur passe soudain du concept universel de la souffrance amoureuse, à son vécu personnel («ton amour qui me brûle »). Pour la première fois, il s’adresse directement à sa bien-aimée. Il avoue une douleur que ses larmes ne parviennent pas à apaiser, en écho au vers « l’eau contre le feu ne peut fournir des armes »…
On ne sait pas si Philis, à qui est adressé le poème, à réellement existé ou si elle est le fruit de l’imagination du poète. Toutefois, si Pierre de Marbeuf a vraiment voulu attendrir sa muse, il est certainement passé à côté de son objectif, tant les prouesses d’écriture surpassent la profondeur du sentiment et son manque amoureux est tout juste effleuré dans les deux derniers vers… Philis a-t-elle été touchée par cette approche, qui ressemble plus à un divertissement technique pour poète virtuose de la rime ? Personne ne le sait. Peut-être aura-t-elle été tout de même impressionnée par l’effort déployé pour ses beaux yeux ?
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