La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d’un bois.
Plus de chansons dans l’air, sous nos pieds plus de chaumes.
L’hiver s’est abattu sur toute floraison ;
Des arbres dépouillés dressent à l’horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.
La lune est large et pâle et semble se hâter.
On dirait qu’elle a froid dans le grand ciel austère.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s’empresse à nous quitter.
Et froids tombent sur nous les rayons qu’elle darde,
Fantastiques lueurs qu’elle s’en va semant ;
Et la neige s’éclaire au loin, sinistrement,
Aux étranges reflets de la clarté blafarde.
Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n’ayant plus l’asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.
Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les
protège ;
De leur œil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu’au jour la nuit qui ne vient pas.
Guy de
Maupassant
L'auteur :
Guy de Maupassant |
Guy de Maupassant (1850 – 1893) est un écrivain français,
dont l’œuvre abondante est entrée dans
les classiques littéraires du 19 ème. Après un emploi monotone en
tant que commis au Ministère de la Marine, puis au Ministère de l’Instruction
Publique, il se lance dès 1880 dans la littérature, sur les encouragements de
Flaubert, son grand ami et maître. Il débute dans le journalisme, tout en
occupant ses loisirs à l’écriture de nouvelles et de romans. Très vite, il
connaît un grand succès populaire avec la publication de « Boule de
suif », sa première nouvelle. Tout au long de sa carrière littéraire, il
jouira d’une belle notoriété et sera présenté dans les salons les plus courus
de l’époque. Mais Maupassant ne sera un écrivain prolixe qu’entre 1880 et 1890,
années au cours desquelles il publie 6 romans, 3 récits de voyage, des
reportages de presse et plus de 300 contes et nouvelles ! Ces nouvelles,
réalistes, évoquent souvent la guerre, la vie des paysans normands, la folie,
les histoires amoureuses, la vieillesse, la peur, la misère, la solitude, la
folie, etc…
La vie d’écrivain de
Maupassant fut très courte : en effet, il est atteint de syphilis dès
1877, maladie vénérienne incurable à l’époque. L’écrivain souffre de violentes
migraines. Puis, le mal progressant inexorablement, il s’aggrave de troubles
visuels, suivis d’hallucinations et de délires, qui le mèneront jusqu’à la
folie. En proie à une dépression tenace, il est interné en 1892, après une
tentative de suicide et mourra après 18 mois d’inconscience presque totale,
associée à une paralysie générale. Fin tragique pour un homme à la réputation sulfureuse, qui adore les
femmes, les plaisirs charnels, le grand air, les voyages sur son yacht,
l’argent. Il semblait beaucoup plaire à ces dames avec sa belle prestance et la
carrure athlétique qu’il doit au canotage. Il ne se marie pas, mais aura trois
enfants qu’il ne reconnaîtra jamais. Sa perception du mariage sera toujours
celle d’un engagement voué à l’échec. Maupassant ne recherche l’épanouissement
que dans l’acte sexuel.
Son parcours de vie, ponctué par l’abandon d’un père
infidèle à sa mère, une jeunesse passée dans un internat catholique qui lui
inspirera une méfiance profonde pour la religion, son frère Hervé mort fou, une
mère dépressive qu’il adore, son vécu traumatisant de la guerre dans ses années
de jeunesse, sa maladie qui le fait tant
souffrir, vont l’amener vers une vision assombrie du monde et de la nature
humaine. Toutes ces épreuves lui forgent
un caractère pessimiste, angoissé et désabusé qui se retrouve dans toutes ses
œuvres littéraires. En découle parfois également, un besoin vital de recul et
de solitude sur son bateau ou dans sa villa de la Guillette à Étretat :
les comédies mondaines auxquelles il s’astreint, ne font pas écho à son penchant pour la
mélancolie et la méditation.
Si vous désirez approfondir la biographie de Maupassant, je
vous conseille d’aller fureter sur le site : www.maupassantiana.fr. Vous y
trouverez une foule de renseignements utiles et de regards croisés de
contemporains de l’écrivain.
Autre site intéressant regroupant la
correspondance de
Maupassant : http://maupassant.free.fr/corresp1.html. On peut même
y lire sa dernière lettre.
Le poème :
Ce poème est extrait du recueil : « Des vers » de Guy de Maupassant, publié en 1880.
Maupassant excelle lorsqu’il s’agit de dépeindre une ambiance : le poème est lugubre et glaçant. La neige et le froid font ici écho à un monde sans pitié fait de souffrances et de mort. Le dernier vers dresse le terrible constat d’une désespérance qu’aucune lueur d’espoir ne viendra jamais éclairer. Et une fois de plus la référence, récurrente chez Maupassant, à la vacuité de l’existence.
Malgré tout, je trouve ce poème d’une grande beauté : son lyrisme et la force de ses évocations me touchent énormément.
Bien entendu, il vaut mieux éviter de lire ces vers un jour de grande déprime…
moi j'ai appris ce poeme a l'école ,avant 1955
RépondreSupprimer"Nuit de neige" est un poème qui a fait transpirer des générations d'écoliers, malgré ses rimes hivernales...
SupprimerMerci pour votre visite !
Très beau poème, mais très difficile pour des Enfants de 9 ans que nous étions en 1946 et cependant nous adorions le lire
RépondreSupprimerJoli témoignage, à bientôt !
SupprimerFranchement, je vous félicite Marie pour cette belle analyse de ce poème que j'aime et que je comprends mieux à présent. Je vais l'utiliser pour réaliser une anthologie sur l'hiver et votre analyse m'éclaire désormais d'avantage.
RépondreSupprimerJe vous remercie pour votre gentillesse et suis heureuse qu'une piste de lecture vous ait permis d'aller à la rencontre de ce magnifique poème...
SupprimerCommuniquez-moi les références de votre anthologie lorsque vous l'aurez terminée ;) En attendant, je vous envoie mes meilleurs voeux de réussite !
QUEL BONHEUR DE RELIRE CE POÈME.JE SUIS EN VOITURE ET JE TRAVERSE UN PAYSAGE DE NEIGE. ALORS AUSSITÔT REVIENT À MA MÉMOIRE CE TEXTÉ
RépondreSupprimer00MAGNIFIQUE DONT J AVAIS OUBLIÉ LA FIN.MERCI DE ME PERMETTRE DE LE RELIRR
J'aime beaucoup cette citation de Joseph O'Connor:"La poésie s'insinue partout. Il suffit de prêter un peu d'attention." Les paysages hivernaux favorisent le vagabondage des idées : on vit intensément le rayon de soleil qui réchauffe le visage, on observe la première goutte d'eau qui scintille au bout d'une branche alourdie par la neige, on écoute le crissement de nos pas dans la blancheur gelée, on est touché par la beauté si pure d'un paysage glacé...il suffit d'ouvrir les yeux, comme vous l'avez fait. Le poème apporte la touche de magie qui va fabriquer le souvenir...merci pour votre message.
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