Lila, la sœur de Mary Crane, s’introduit dans la maison de Norman Bates, le psychopathe, pendant son absence :
[…]
Mais où pouvait bien être Mary ?
Lila pouvait mettre sens dessus dessous le reste de la chambre, examiner les tiroirs, fouiller le rez-de-chaussée. Mais dans l’immédiat, ce n’était pas ça l’important. Il y avait quelque chose d’autre à faire d’abord, si seulement elle pouvait s’en souvenir.
Où pouvait donc être Mary ?
Et soudain elle sut.
Qu’avait donc dit le shérif Chambers ? Qu’il avait trouvé Norman Bates derrière la maison, en train de ramasser du bois ?
Du bois pour la chaudière. Oui, c’était ça. La chaudière au sous-sol.
Lila fit demi-tour et dégringola l’escalier. La porte d’entrée était ouverte et le vent rentrait en mugissant. Bien sûr, la porte était ouverte puisqu’elle s’était servie du passe. Elle comprenait à présent pourquoi elle était en colère depuis qu’elle avait retrouvé la boucle d’oreille. Elle était en colère parce qu’elle avait peur, et cette colère l’aidait à cacher sa peur.
La peur de ce qui était arrivé à Mary, en bas dans la cave. C’était pour Mary qu’elle avait peur, pas pour elle-même. Bates avait gardé Mary prisonnière toute la semaine, peut-être qu’il l’avait torturée, peut-être qu’il lui avait fait ce que l’homme faisait à la femme dans cet horrible livre pornographique, il l’avait torturée jusqu’à apprendre où se trouvait l’argent, et ensuite…
La cave. Il fallait trouver la cave.
Lila avança dans le vestibule à tâtons et pénétra dans la cuisine. Elle alluma – et sursauta en voyant le petit animal à fourrure tapi sur une planche, prêt à bondir. Mais ce n’était qu’un écureuil empaillé, dont les yeux de verre semblaient bêtement vivants sous la lueur de l’ampoule.
L’escalier menant au sous-sol était en face d’elle. Elle tâtonna le long du mur pour atteindre le commutateur. Une faible lumière parut dans les profondeurs ténébreuses. Le tonnerre gronda, faisant contrepoint au claquement de ses talons.
L’ampoule nue pendait à un fil face à la chaudière. C’était un grand modèle, avec une lourde porte de fer. Lila s’arrêta. Elle tremblait, et se l’avoua. Elle était prête à tout s’avouer. Elle avait été stupide de venir ici seule, stupide de faire ce qu’elle avait fait et stupide de faire ce qu’elle s’apprêtait à faire. Mais il le fallait, pour Mary. Il lui fallait ouvrir la porte de la chaudière, et y découvrir ce qu’elle savait y être. Mon Dieu, et si le feu brûlait encore ? Et si ???
Mais la porte était froide. Aucune chaleur ne se dégageait de la chaudière, ni de la resserre obscure et totalement vide derrière la porte. Elle se baissa et regarda à l’intérieur, sans même se servir du tisonnier. Ni cendres, ni odeur de brûlé, rien. A moins d’avoir été nettoyée récemment, la chaudière n’avait pas servi depuis le printemps dernier.
Lila se détourna. Elle vit les bacs à lessive démodés, la table et la chaise placées tout contre le mur. Sur la table, des bouteilles, des outils de menuisier, et tout un assortiment de couteaux et d’aiguilles. Quelques couteaux étaient munis de lames étrangement recourbées et plusieurs aiguilles étaient fixées à des seringues. A côté, un tas de morceaux de bois, des câbles, des masses informes et blanchâtres qu’elle ne reconnut pas tout de suite. L’une d’elles, plus grosse que les autres, lui rappela un plâtre qu’elle avait porté, enfant, lorsqu’elle s’était cassé la jambe. Lila s’approcha de la table et contempla les couteaux avec étonnement.
C’est alors qu’elle entendit le bruit.
Tout d’abord, elle crut que c’était le tonnerre, mais ensuite elle perçut un craquement au-dessus de sa tête. Et elle sut.
Quelqu’un était entré dans la maison. Quelqu’un marchait dans le vestibule sur la pointe des pieds. Sam ? Il venait à sa recherche ? Mais, dans ce cas, pourquoi est-ce qu’il ne l’appelait pas ?
Et pourquoi est-ce qu’il fermait la porte de la cave ?
Car la porte de la cave venait de se fermer. Lila entendit le déclic de la serrure et les pas qui s’éloignaient. L’intrus devait être entrain de monter au premier étage.
Elle était enfermée dans la cave. Il n’y avait pas d’issue. Pas d’issue, aucun endroit où se cacher. Depuis l’escalier, on voyait tout le sous-sol d’un seul coup d’œil. Et elle savait que quelqu’un allait descendre cet escalier. Elle en était sûre.
Si seulement elle pouvait se cacher un instant, celui qui la cherchait serait obligé d’aller jusqu’en bas des marches. Et alors, elle aurait peut-être le temps de se précipiter vers la sortie.
La meilleure cachette était sous l’escalier. Si elle pouvait se dissimuler sous de vieux papiers ou des chiffons.
C’est à ce moment que Lila aperçut la couverture clouée sur le mur. C’était une grande couverture indienne, vieille et effrangée. Elle l’arracha et le tissu moisi se détacha des clous qui le maintenaient. Il tomba du mur, démasquant la porte.
La porte. La couverture l’avait complètement dissimulée. Sans doute cette porte menait-elle à une autre pièce, probablement un vieux cellier. L’endroit idéal pour se cacher et attendre.
Et l’attente ne serait pas longue. Car elle entendait le bruit assourdi des pas qui revenaient vers le vestibule puis entraient dans la cuisine.
Lila ouvrit la porte du cellier.
C’est alors qu’elle hurla.
Elle hurla à la vue de la vieille femme, une vieille femme décharnée, aux cheveux gris dont le visage ridé, parcheminé, lui adressait une obscène grimace de bienvenue.
-Ma…madame Bates, haleta Lila.
-Oui.
Mais la voix ne venait pas de ces joues creuses et flétries. […]
Extrait du livre « Psychose », de Robert Bloch, éd. « Points », p.213 à 217.
L’histoire :
Mary Crane, une secrétaire sans le sou, dérobe 40.000 dollars sur son lieu de travail pour pouvoir enfin réaliser son rêve: vivre avec Sam, son amant. Elle s’enfuit en auto pour le rejoindre à Fairvale, mais en chemin, un énorme orage éclate. Elle n’y voit plus rien, se trompe de route. Une grosse fatigue la surprend. Comme il fait nuit, elle décide de s’arrêter dans un motel désert du bord de route. Elle loue une chambre, se réjouit de pouvoir se détendre et se reposer. Mais Norman Bates l’observe, et rien ne se passe comme elle l’avait prévu…
L’auteur et son livre :
Robert Bloch |
Robert Bloch (1917 – 1994) était un écrivain- scénariste américain. Passionné de fantastique depuis l’enfance, il a écrit de nombreux thrillers, romans noirs et nouvelles qui ont étoffé une œuvre littéraire prolifique. Il est connu du grand public pour être l'auteur du remarquable « Psychose », le livre qui a été porté à l’écran en 1960 par Hitchcock.
C’est l’histoire véridique du « Boucher de Plainfield », dont la presse fait largement écho en 1957, qui a inspiré Robert Bloch. D’autant plus que le meurtrier en série Edward Gein commettait des horreurs à moins de 60 kilomètres du domicile du romancier…
Edward Gein |
Si vous désirez en savoir plus sur ce meurtrier terrifiant, je vous invite à découvrir un reportage de 40 minutes, très complet (mais à déconseiller aux enfants et aux personnes sensibles), à l’adresse suivante :
Ed Gein a exercé une fascination morbide sur le public de l’époque, et Bloch, lui aussi, a été captivé par la psychologie unique du personnage. Dans un entretien accordé à S. Bourgoin (en préface de « Psychose » aux éd.« Point »), il dit : « Mon roman s’est inspiré des meurtres et non pas d’Ed Gein. […]Je me demandais quelle sorte de personnalité il pourrait avoir : je me décidai pour un schizophrène qui ne se rendrait même pas compte qu’il commettait ces crimes. Quels pourraient être ses motifs ? Je choisis cette situation oedipienne et cette pulsion à se travestir en sa mère, ce qui était plutôt osé pour l’époque. »
Il n’a fallu que 7 semaines à Robert Bloch pour terminer « Psychose ». Il sort en librairie en 1959.
Pour donner suite au succès qu’a connu son œuvre, Robert Bloch a écrit en 1982 une suite à l’histoire, intitulée sobrement « Psychose 2 ».
Quelques citations :
-« Il savait ce que c’était que d’être fatigué et perdu, sans personne vers qui se tourner, sans personne pour vous comprendre. » p.68
-« Ainsi étaient les filles, elles riaient toujours. Parce que c’étaient des chiennes. » p. 71
-« Voilà ce que sa mère avait fait. Ce que sa mère avait fait à cette pauvre fille sans défense. » p.88
-« Elle était là pour le protéger. Il était là pour la protéger. »p. 91
-« Il y avait des inconvénients à être le petit garçon de sa maman. » p. 129
-« Ce n’était pas sa conscience qui le tourmentait, c’était sa peur. »p. 130
-« Quoi qu’on fasse, on ne s’en sortirait jamais. Ni en se conduisant comme un bon petit garçon, ni en se conduisant comme un adulte. » p. 145
-« C’était le cri dément d’une hystérique, et il sortait de la gorge de Norman Bates. » p.217
Mon avis :
Anthony Perkins |
Qui n’a pas déjà vu le film culte de Hitchcock, « Psychose » ? Du noir et blanc, une musique angoissante, la mythique scène de la douche, un Anthony Perkins magnifique et mystérieux, bref … tous les ingrédients sont magistralement réunis pour éclipser à tout jamais le livre à l’origine de l’œuvre cinématographique, n’est-ce pas ? Eh bien, j’ai eu envie de vérifier si c’était le cas…
J’ai découvert un thriller mené rondement, avec beaucoup d’intelligence, et qui m’a maintenu en haleine de la première à la dernière page, bien que j’en connaisse déjà l’épilogue. Pourtant, Hitchcock est resté fidèle au livre : il a seulement changé l’âge et la physionomie de Norman Bates pour le rendre plus commercial, sinon aucun changement notable n’est à signaler au niveau des grandes lignes de l’intrigue. Tout l’intérêt du roman réside donc dans l’exploitation de la déviance psychologique de Norman Bates. L’auteur développe avec largesse ses pensées intimes, les relations qui se sont nouées avec sa mère, ses déviances, ses angoisses. Au final, la personnalité du meurtrier en ressort beaucoup plus complexe et intéressante.
Pour ne rien gâcher, j’ai été conquise par l’écriture de Robert Bloch. Il sait cultiver le suspense et maintenir une ambiance oppressante à souhait. Du grand art, vraiment.
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