[…]
39 juinet.
Les pieds dans l’eau, le pantalon relevé et ses chaussures à la main, Jacquemort contemplait bêtement le bateau. Il attendait Angel, le bateau l’attendait aussi. Angel redescendait la falaise, muni de couvertures et d’un dernier bidon d’eau. Il avait mis des vêtements de mer, en toile translujaüne et cirée. Il traversa rapidement la petite crique de galets et rejoignit Jacquemort. Celui-ci se sentait serré.
- Restez pas comme ça, avec vos souliers à la main, dit Angel. Vous avez l’air d’un bouseux du dimanche.
- Je m’en fiche de quoi j’ai l’air, répondit le psychiatre.
- Et laissez votre barbe tranquille.
Jacquemort regagna le sol sec et posa ses godasses sur un gros rocher.
Quand il levait la tête, il voyait la traînée rapide des rails du bateau disparaître au-delà des rocs de la falaise.
- Ça va me flanquer le cafard quand je verrai ce truc-là, dit-il.
- Mais non, dit Angel. Ne craignez rien.
Il franchit lestement la passerelle souple qui menait à bord. Jacquemort ne bougeait pas.
- À quoi ça sert, ces pots de fleurs ? demanda-t-il lorsqu’Angel réapparut.
- J’ai pas le droit d’emporter des fleurs ? demanda l’autre, agressif.
- Mais si, mais si, dit Jacquemort. Il ajouta : Avec quoi les arroserez-vous ?
- Avec de l’eau, dit Angel. Et puis, vous savez, il pleut aussi en mer.
- Certes, confirma l’autre.
- Ne faites pas cette gueule-là, dit Angel. Vous me rendez malade. Dirait-on pas que vous perdez un ami !
- C’est le cas, dit Jacquemort. Je vous aime bien.
- Ben moi aussi, dit Angel. Mais vous voyez, je m’en vais quand même. On ne reste pas parce qu’on aime certaines personnes ; on s’en va parce qu’on en déteste d’autres. Il n’y a que le moche qui vous fasse agir. On est lâches.
- Je ne sais pas si c’est de la lâcheté, dit Jacquemort, mais ça me fait de la peine.
- Pour que ça n’en soit pas trop, dit Angel, j’ai mis des détails complémentaires un peu dangereux : pas de provisions, un petit trou dans la coque et assez peu d’eau. Ça compense ?
- Quel con, grogna Jacquemort furieux.
- Comme ça, continua Angel, ça reste une lâcheté du point de vue moral, mais physiquement, c’est hardi.
- C’est pas hardi, c’est idiot, dit Jacquemort. Pas confondre. Et puis, qu’est-ce que ça a de lâche, sur le plan moral ? On n’est pas lâche parce qu’on ne l’aime plus. C’est comme ça, quoi.
- On va encore se perdre, dit Angel. Toutes les fois qu’on commence à parler ensemble, on s’écarte dans le fortement pensé. Ça me fait une autre raison de partir ; j’éviterai aussi de vous donner de mauvaises idées.
- Si vous croyez que les autres m’en donnent de meilleures, marmonna Jacquemort.
- C’est vrai, excusez-moi. J’oubliais votre fameux vide.
Angel rit et replongea dans le ventre du bateau. Il en rejaillit presque aussitôt tandis qu’un léger ronflement s’élevait.
- Tout va bien, dit-il. Je peux partir. D’ailleurs, je préfère qu’elle les élève toute seule. Je ne serais sûrement pas d’accord et je déteste les discussions.
Jacquemort regardait l’eau claire qui grossissait les galets et les algues. La mer très belle bougeait à peine, un petit clapotis, mince comme des lèvres mouillées qui s’entrouvrent. Il baissa la tête.
- Ah zut ! dit-il. Ne faites pas de blagues.
- Je n’ai jamais pu en faire des vraies, dit Angel. Au moins, avec ça, je suis forcé. Je ne peux plus reculer.
Il redescendit vivement la passerelle et tira de sa poche une boîte d’allumettes. Il se baissa, en gratta une et enflamma le bout d’une mèche suiffée qui dépassait l’extrémité du chemin de lancement.
- Comme ça, dit-il, vous n’y penserez plus.
La flamme bleuâtre rampa tandis qu’ils la guettaient tous deux. Elle jaunit, s’enfla, courut et le bois commençait à noircir en craquant. Angel remonta et rejeta la passerelle sur la grève.
- Vous ne la prenez pas ? dit Jacquemort détournant ses yeux de la flamme.
- Pas besoin, dit Angel. Je vais vous avouer une chose : j’ai horreur des enfants. Au revoir, mon vieux.
- Au revoir, sale con, dit Jacquemort.
Angel sourit, mais il avait les yeux brillants. Derrière Jacquemort, le feu soufflait et chuintait. Angel descendit sous le rouf. On entendit un violent bouillonnement et les pieds articulés se mirent à battre l’eau. Il remonta et prit la barre. Déjà le bateau avait de la vitesse et s’éloignait rapidement du rivage, se déjaugeant à mesure qu’il accélérait. Lorsqu’il fut à son plein régime, il parut, léger et grêle, marcher sur l’eau calme au milieu d’une gerbe d’écume. Angel leva un bras, de poupée dans la distance. Jacquemort fit un signe. Il était six heures du soir. Le feu grondait maintenant et le psychiatre dut s’en écarter en s’essuyant le visage. Bon prétexte. Une épaisse fumée s’élevait dans un roulis majestueux, lacérée d’orange. En volutes puissantes, elle dépassa la falaise et monta presque droite dans le ciel.
Jacquemort frissonna. Il s’aperçut qu’il était en train de miauler depuis plusieurs minutes. Un miaulement de regret mêlé de douleur, comme celui d’un chat qu’on vient de couper. Il referma la bouche et, maladroit, remit ses chaussures. Il revint vers la falaise. Avant de grimper, il jeta un dernier regard vers la mer. Les rayons du soleil encore vifs faisaient scintiller, là-bas, un objet maigre qui marchait sur l’eau comme une notonecte. Ou une nèpe. Ou une araignée. Ou comme quelque chose qui marchait tout seul sur l’eau, avec Angel, tout seul, à bord.
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39 juinout.
Assise à sa fenêtre, elle se regardait dans le vide. Le jardin, devant elle, se tassait sur la falaise et laissait le soleil lui lécher tous ses poils obliquement, une dernière caresse avant le crépuscule. Clémentine se sentait lasse et se surveillait son intérieur.
Perdue dans elle-même, elle sursauta lorsque le quart de six heures sonna au lointain clocher.
D’un pas vif, elle quitta la pièce. Ils n’étaient pas au jardin. Elle descendit l’escalier, soupçonneuse, et se rendit délibérément dans la cuisine. De la buanderie, lui parvinrent les échos de la lessive de Culblanc tandis qu’elle ouvrait la porte.
Les enfants avaient tiré une chaise devant le buffet. Noël la tenait à deux mains. Debout sur la chaise, Citroën tendait à Joël, l’un après l’autre, les morceaux de pain de la corbeille ; le pot de confiture reposait encore sur le siège de la chaise, entre les pieds de Citroën. Les joues barbouillées des jumeaux trahissaient l’usage déjà fait du produit de leur expédition.
En entendant arriver leur mère, ils se retournèrent et Joël fondit en larmes, suivi de près par Noël. Seul Citroën ne broncha pas. Il prit un dernier morceau de pain et y mordit, tandis qu’il faisait face et s’asseyait près du pot de confiture. Il mâchait posément, sans se presser.
En pensant qu’elle venait, une fois encore, de laisser passer l’heure, Clémentine fut saisie d’un remords honteux, plus vif encore que le déplaisir éprouvé lorsqu’il lui arrivait de rentrer en retard. L’attitude même de Citroën, cet air de provocation et de défi, complétait celle de ses frères ; s’il faisait face pour sa part, il avait comme eux, le sentiment d’accomplir quelque chose de défendu ; il s’imaginait donc évidemment que sa mère les brimait tous trois volontairement, qu’elle s’opposait à ce qu’il goûte ; et cette réflexion fit tant de peine à Clémentine qu’elle faillit elle-même se mettre à pleurer. Cependant, afin d’éviter que sa cuisine ne prît des allures de vallée de larmes, elle parvint à réduire à merci ses glandes lacrymales titillées.
Elle s’avança vers eux et prit Citroën dans ses bras. Il se raidit, têtu. Très douce, elle l’embrassa sur sa joue brune.
- Mon pauvre chou, dit-elle avec tendresse. Cette vilaine maman qui oublie votre goûter. Venez, pour la peine on va boire une bonne tasse de chocolat au lait.
Elle le reposa par terre. Les larmes des jumeaux s’étaient arrêtées net et ils piaillèrent de joie en se précipitant vers elle. Ils frottaient leurs figures sales contre ses jambes gainées de noir, tandis qu’elle s’approchait du fourneau pour décrocher une casserole qu’elle remplit de lait. Médusé, Citroën, son morceau de pain à la main, la regardait. Son front plissé se détendit. Ses yeux brillaient de larmes, mais il restait encore indécis. Elle lui sourit, enjôleuse. Il souriait à son tour, d’un sourire timide comme un écureuil bleu.
- Tu vas voir comme tu m’aimeras, maintenant, murmura-t-elle presque pour elle-même. Tu n’auras plus jamais rien à me reprocher.
Et voilà, ils se nourrissent seuls, ils n’ont plus besoin de moi, se disait-elle cependant avec amertume. Peut-être qu’ils tournaient déjà les robinets tout seuls.
N’importe. Cela pouvait se regagner. Elle leur donnerait tant d’amour. Elle allait leur donner tant d’amour que leur vie entière, tissée de soins et de bons offices, perdrait son sens hors de sa présence.
Comme ses yeux erraient à ce moment par la fenêtre, elle vit une épaisse fumée s’élever là-bas, vers le hangar. C’était le chemin de lancement du bateau qui brûlait.
Elle sortit pour aller voir ; derrière elle, les trois petits babillaient. Elle sentait déjà ce que signifiait l’incendie sans avoir besoin de vérifier. Son dernier obstacle s’envolait.
[…]
Extrait du livre : « L’arrache-cœur » de Boris Vian, éd. Le Livre de Poche.
L’auteur :
Boris Vian |
Boris Vian (1920 – 1959), ingénieur de formation, était un touche- à- tout qui a écrit des romans, de la poésie, des pièces de théâtre, des chansons (vous trouverez sa célèbre chanson « le déserteur » dans la rubrique « chansons » de ce site), des scénarios de films, sous son nom ou sous l’un de ses nombreux pseudonymes, tels que Vernon Sullivan, Bisou Ravi, Butagaz, etc. De plus, il a également été un trompettiste émérite, passionné de jazz, qui jouait professionnellement et collaborait à des revues musicales, ainsi qu’à des émissions radiophoniques sur le sujet. Il a aussi été traducteur (anglais – français), acteur, peintre…ouf… et cette impressionnante liste est loin d’être exhaustive !
Pessimiste de caractère, il adorait pourtant faire la fête en musique et vouait une véritable passion à l’absurde et aux jeux de mots. Il était d’ailleurs très ami avec Raymond Queneau, qu’il aimait comme un père et avec qui il pouvait partager son penchant. Ces particularités lui avaient forgé une personnalité hors norme. On la perçoit dans ses œuvres, teintées de fantaisie, avec un goût prononcé pour l’humour et un style d’écriture qui s’affranchit des lieux communs. Sa boulimie de création, son hyperactivité artistique est sans conteste liée à un parcours de vie atypique, puisqu’à l’âge de 12 ans, les médecins ont décelé chez lui une insuffisance aortique. Leur diagnostic était sans appel : Boris ne devait pas vivre au-delà de la quarantaine…Malheureusement, les faits leur donneront raison. Boris Vian est décédé d’une crise cardiaque à l’âge de 39 ans, lors du visionnement de l’adaptation cinématographique de son roman « J’irai cracher sur vos tombes », adaptation contre laquelle il s’insurgeait…
« L’arrache-cœur », dernier livre de Vian :
Vian a été très découragé par les échecs successifs de ses oeuvres, les mauvaises critiques et les scandales.
Pourtant, il tenait à publier un dernier livre sur lequel il travaillait depuis quelques années, « L’arrache-cœur ». Ce roman a été conçu pour être le premier volet d’une trilogie intitulée « Les fillettes de la reine », trilogie qui ne sera jamais écrite. On sait qu’en 1947 déjà, il notait des idées sur ce roman :« Mère et ses enfants, commence par les laisser libres […]. Au fur et à mesure que se développe leur personnalité elle les boucle de plus en plus et finira par les enfermer dans des cages […] » (Les vies parallèles de Boris Vian, de N. Arnaud). Sa publication n’a pas été des plus simples, puisque Gallimard refuse le manuscrit, malgré l’appui discret de son ami Queneau. Boris écrira dans ses carnets intimes : « Je ne peux pas leur en vouloir, je sais que c’est difficile à lire mais c’est le fond qui leur paraît fabriqué. C’est drôle, quand j’écris des blagues, ça a l’air sincère et quand j’écris pour de vrai on croit que je blague. »
Son épouse de l’époque, Michelle Léglise, a publié en 2011, à l’âge de 91 ans, une biographie intitulée « Vian.Post-scriptum » (bibliobs.nouvelobs.com) où elle écrit, à propos de « L’arrache-cœur » : « C’est son livre le plus signifiant. Boris a eu beaucoup de mal à le finir ». On peut encore signaler que Vian a publié ce récit sous son vrai nom. Or, ce sont les œuvres qui lui tenaient le plus à cœur qu’il publiait ainsi…
Malheureusement, « L’arrache-cœur » n’a connu aucun succès lors de sa publication en 1953. C’était l’échec de trop pour Vian : il a fini par jeter l’éponge et tirer un trait sur la littérature. Ce sont les jeunes des années 1960- 1970, qui ont été séduits par son écriture colorée et imaginative, à tel point que par la suite, des livres comme « L’écume des jours », « L’arrache-cœur » ou « L’herbe rouge » ont rejoint les classiques étudiés dans le cadre scolaire
En écho à son enfance:
Pour comprendre « L’arrache-cœur », il est important de l’éclairer à la lumière d’une enfance plutôt facile et gaie, mais assombrie par le caractère anxieux et autoritaire de Madame Vian. La grave maladie cardiaque de Boris, ainsi que sa santé fragile vont décupler son angoisse de mère et son besoin de surprotection. Dès lors, lui-même ainsi que son frère et sa soeur seront littéralement couvés. Tous les jeux sont favorisés à condition que leur mère puisse exercer son contrôle. Ponctuellement, jusqu’à ce que la guerre éclate, Boris part en vacances à Landemer, dans le Cotentin, où la famille possède une maison isolée sur une falaise avec une plage privée. Mais Vian y vit un quotidien exagérément cadré, où il est difficile de s’épanouir véritablement. À Ville- d’Auray, ses parents vont même constuire une salle de bal au fond de leur jardin pour que leurs enfants puissent organiser des fêtes sans devoir aller chez les autres… Bref, Boris Vian a été très marqué par cette mainmise maternelle qui a étouffé son enfance et qui l’a tenu éloigné des réalités d’une époque chahutée par la guerreht3.
Ce vécu va nourrir son œuvre, puisqu’il le transpose dans un poème écrit en 1947 ou en 1948, intitulé « La vie en rouge », véritable prémisse à « L’arrache-cœur » :
La vie en rouge
Les mères vous font en saignant
Et vous tiennent toute la vie
Par un ruban de chair à vif
On est élevé dans des cages
On vit en mâchant des morceaux
De seins arrachés en saignant
Qu’on accroche au bord des berceaux
On a du sang sur tout le corps
Et comme on n’aime pas le voir
On fait couler celui des autres
Un jour, il n’y en aura plus
On sera libres.
Extrait de « Cantilènes en gelée »
Il récidive à nouveau dans « L’herbe rouge », roman publié en 1950. L’ingénieur Wolf, son personnage principal y explique à Monsieur Perle qui l’interroge sur ses parents : « Ils avaient toujours peur pour moi, je ne pouvais pas me pencher aux fenêtres, je ne traversais pas la rue tout seul, il suffisait qu’il y ait un peu de vent pour qu’on me mette ma peau de bique […] ». Mais, c’est surtout en 1953, dans « L’arrache-cœur » qu’il dissèque le thème de l’amour maternel : il y devient déviant et destructeur jusqu’à la caricature. Il est donc impossible de ne pas faire de parallèle entre le jardin des Vian à Landemer, et celui de la grande maison blanche du roman…
L’histoire, petite analyse :
Le récit peut être analysé sous une multitude d’axes de lecture : critique sociale ou religieuse, l’abandon du père, la honte, etc. Toutes ces possibilités d’éclairage en font un livre riche, propre à nourrir une foule de réflexions. J’ai opté pour une approche qui met en avant les déviances de l’amour maternel et sélectionné un extrait en lien avec ce choix (voir ci-dessus). Il me paraît intéressant, car il décortique le ressenti d’Angel, touchant, malgré son abandon qu’il considère comme une lâcheté, et en contraste total avec celui de Clémentine, mère effrayante dans ses sournoises manigances. Le dialogue entre Jacquemort et Angel est une imbrication de raison et de culpabilité, certainement un écho au vécu personnel de Vian, lui-même ayant quitté sa femme et ses deux enfants. Un véritable arrache-cœur.
« L’arrache-cœur » raconte le parcours d’un psychiatre dénommé Jacquemort. Il n’aspire qu’à psychanalyser rapidement des gens pour combler son vide intérieur, son absence de passions. Il arrive donc par hasard, près d’une maison blanche avec un grand jardin, perchée sur une falaise en bord de mer, où vivent Angel et son épouse Clémentine, sur le point d’accoucher. Des triplés vont naître : Noël, Joël et Citroën. Jacquemort emménage dans cette famille et découvre aux alentours un village atypique dont la population ignore la notion de honte. Jacquemort va y assister à des scènes étranges et déconcertantes : un marché aux vieux, une église où sont organisés des combats de boxe, des apprentis maltraités, un cheval cloué sur un panneau de bois, un maréchal-ferrant qui s’accouple avec une androïde de bronze et d’acier, un ruisseau rouge dans lequel on jette les cadavres, afin qu’un homme les repêche avec ses dents et qu’il puisse ainsi digérer la honte de tout un village, etc…Des descriptions à glacer le lecteur.
Mais le récit est avant tout axé sur les rapports entre Clémentine et ses enfants. À leur naissance, elle ne voyait en eux que des « salopiots » goulus, elle oubliait l’heure des repas et n’éprouvait aucun instinct maternel. Un attachement croissant va se transformer en amour, pour virer ensuite à l’obsession et finir en véritable pathologie psychiatrique : on assiste à des descriptions de masochisme alimentaire et hygiénique, ainsi qu’à de profondes névroses. Bien entendu, son mari Angel ne trouve pas sa place dans cette relation exclusive et finit par partir. Dès lors, la voie est ouverte à toutes sortes d’excès liés à une angoisse maternelle dévorante et à un refus de voir ses enfants lui échapper, eux qui s’évadent loin de leur mère, dans la fantaisie de leur monde imaginaire. Le jardin de la maison est le centre de leur univers poétique, lieu magique, espace de liberté où se côtoient une flore luxuriante et son petit peuple féerique d’insectes et d’oiseaux. Clémentine va maladivement se focaliser sur le danger qu’il représente pour ses garçons. Et surtout pour elle. Sans jamais chercher à comprendre leurs réels besoins. Elle saccagera ce coin de paradis en toute légitimité. Mais elle ne parvient pas à canaliser son désir de possession et de contrôle. Elle ne trouve un apaisement égoïste que dans l’enfermement : en isolant ses triplés du monde, elle bétonne son pouvoir et leur devient indispensable.
Le style :
Le style d’écriture est unique : descriptions surréalistes, présence de nombreux mots-valises (par exemple avroût = avril + août ou trumeaux = trois + jumeaux), de mots inventés (une maliette = un oiseau de type mouette), ton parfois humoristique, originalité surprenante. Cette originalité parfois déconcertante est peut-être à l’origine de l’insuccès de l’œuvre en 1953…
Mon avis :
« L’arrache- cœur » est un incontournable de la littérature française. Un livre qui marque par son incessante oscillation entre poésie et horreur, attachement et dégoût.
Personnellement, bien que je reconnaisse une longue liste de qualités à ce roman, j’ai ressenti un profond malaise à sa lecture : déviances caricaturales de Clémentine, intimité glauque du maréchal-ferrant, voyeurisme malsain de Jacquemort, satire religieuse dont l’auteur se fait largement écho. C’est cette dualité qui chamboule le lecteur. Ai-je aimé ce livre… ou pas ? Mon cœur balance.
Et vous, qu’en avez-vous pensé ?
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