Il vous
souvient que nous revenions de ces chemins secs où la poussière s’affale et
dort. Nous avions vu des tufs accrochés de lumière et des blés profonds, des
oiseaux blancs posés sur la mer en paquets d’ouate, des moutons, des marchés et
des fromages ronds, dans la rumeur serrée des parlers croquants qui nous
jetaient qui nous jetaient aux tympans des sonorités de cailloux entrechoqués.
Vous aviez marché vers des collines de pins larges et des collines dures. Vous
aviez longé des criques lisses comme des maternités, où des compagnons à
demi-nus fâchaient les méduses. Vous aviez écouté le bruissement zinzinulant
des cigales qui vous avait fusillé. Vous aviez foulé des chauds et des pierres
bleues. Et nom de Dieu, vous aviez bu ces vins clairs qui vous avaient cloué
dans la chaleur comme l’éther immobilise la mouche rare aux planchettes des
entomologistes. Ainsi vous succombiez comme cent mille descendants burgondes
aux forts pouvoirs solaires, vous plongiez dans une extase minérale, vous étiez
frappé d’éternité loin des hommes et de leurs émois.
Or
qu’arriva-t-il ? Rappelez-vous. Nous avions laissé derrière nous les
plaines tièdes, nous étions grimpés sur
l’un de ces cols par quoi la
Suisse se protège du monde, nous avions replié nos cartes
routières et vous aviez jeté par la fenêtre, comme un morceau du temps qui
passe, un pépin noir de pastèque. Nous avions franchi la frontière et fendu la
foule de pèlerins agglutinés à quelque kiosque bourré jusqu’à la tuile de
noisettes au chocolat et de saint-bernards en peluche. Nous redescendions alors
les flancs de la montagne à travers les sapins et quel couac intime, quel raté de l’œil, quelle
méprise de la main, quelle fièvre du pied me fit perdre la maîtrise du
véhicule, conduire droit quand il fallait tourner, rater mon virage et sauter
la banquette verte ? Le mystère demeure et je m’en balance. Je vis en un
éclair la piste d’humus moussu où j’allais m’étaler comme sur un doux linceul de
fin dernière, des mélèzes rougis en flammes de chapelle ardente, des entrelacs
de bois noués comme des squelettes glacés, puis plus rien. Un énorme caillou
avait stoppé ma dégringolade vertigineuse. Je quittai ma posture d’un jarret
pâle, rien ne bougeait, l’air était suspendu par la catastrophe quand je vis
sortir d’un buisson ce hérisson superbe et net, investi des forces
immémoriales, qui reniflait en marchant
l’odeur de la limace rousse et de la feuille déjà pourrie par les
climats de septembre. J’étais bec-de-gaz mais les fragiles splendeurs du monde
m’étaient désormais révélées. Et quand je quittai les lieux, j’écartai du
soulier un phare que mon vieux notaire avait éternué à dix pas comme un dernier
crachat d’ignorance.
Extrait du
livre : « Une chambre pleine d’oiseaux. », Christophe Gallaz,
éd. L’Age d’Homme
éd. L’Age d’Homme
Un style
vivant, riche et imagé qui séduit immédiatement. Cet écrivain – journaliste
Suisse est très plaisant à lire et je vous recommande ses textes variés.
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