Des amis vous ont assuré que rien n’était plus sain pour l’organisme et exaltant pour l’esprit, que les sports d’hiver. L’Homme vous a juré qu’une bonne semaine de vacances en montagne, seule, sans enfants, vous rendrait votre teint de jeune fille. Vous décidez de partir dix jours, avec un groupe, les Skieurs Souriants, pour 3500 francs, tout compris.
QUINZE
JOURS AVANT
Vous
dépensez déjà une fois 3500 francs en équipements divers. Vous n’avez pas pu
résister à l’achat d’un fuseau rouge si moulant, si moulant que vous vivez dans
la terreur que les coutures n’éclatent. On vous a dit que des collants en soie
noire étaient indispensables pour ne pas avoir froid. C’est chaud mais c’est
cher (prononcez six fois de suite très vite).
LE VENDREDI
22h00 :
Vous avez rendez-vous à la gare avec votre groupe, les Skieurs Souriants, au
départ du train. On doit se reconnaître entre compagnons de voyage à de petits
bonnets de laine bleue à pompon. À l’heure dite, personne n’est là, sauf vous.
Enfin, vous voyez apparaître un vieux monsieur dans un accoutrement bizarre :
chapeau tyrolien à médailles, justaucorps fourré et sac au dos. Sa femme est en
chevrier. Vous comprenez vite : 1° que tous vos compagnons se connaissent
entre eux et vous ignorent ; 2° que vous êtes la seule à porter ce
ridicule petit bonnet bleu à pompon.
22h30 :
Il y a foule dans la gare. Une foule hérissée de skis. Vous voyez même passer
un employé de la S.N.C.F.
avec une paire sur l’épaule. Probablement la contagion. Le chef des Skieurs
Souriants, barbe en bataille, compte ses poussins. Il en manque un. Quelqu’un
crie : « C’est Pauline ! » On monte quand même à
l’assaut du train. Combat féroce autour des places.
23h00 :
Arrivée de Pauline, galopant en tête d’un peloton de retardataires (d’autres
groupes). Elle saute sur le marchepied. Malheur, ses skis se coincent en
travers de la porte. On dégage skis et Pauline. Le tout s’abat sur vous.
LE SAMEDI
5h30 :
Vous vous réveillez courbatue, secouée de frissons glacés. Le train roule dans
un paysage détrempé par la pluie. Pas la moindre trace de neige.
10h20 :
Arrivée dans la station. Il y a de la neige. Mais pas de soleil. Le
débarquement du groupe, les Skieurs Souriants, dans l’hôtel donne lieu à des
scènes dignes du Radeau de la Méduse
.Vous n’avez, vous, ni balcon, ni salle de bains, ni téléphone. Juste une
chambre mansardée « provisoire ». Vous y resterez jusqu’à votre
départ.
DIMANCHE
8h00 :
Alors que vous comptiez faire la grasse matinée, des fous secouent votre porte
en glapissant : « Allez, hop ! en piste. »On vous entraîne, les yeux mal
ouverts, louer des skis. Vous passez de longs moments stoïques, sur une patte,
comme un héron. Vous vous apercevez alors : 1° que vos énormes souliers
vous font un mal atroce ; 2° que vous avez oublié vos ravissants
bottillons fourrés à Paris. Vous aurez le choix, pendant dix jours, entre des
pieds torturés ou des pieds trempés. Parce que la neige mouille. Elle glisse aussi. Vous découvrirez que la
station verticale n’est pas naturelle à une femme montée sur skis. Vous
trouverez également que la neige est dure,
après avoir dévalé sur le dos, en une minute, une pente que vous aviez gravie
en une heure. Des sadiques vous obligent à essayer le remonte-pente. Après
avoir fait la queue une demi-heure, vous êtes arrachée vers le ciel comme une
grenouille désarticulée.
LUNDI
Vous
décidez de prendre des leçons de ski. On vous glisse dans une classe de
tout-petits de cinq ans, qui se débrouillent dix fois mieux que vous.
MARDI
Deuxième
leçon de ski. Vous passez votre temps assise dans la neige sur un postérieur
douloureux. Pour vous consoler, le moniteur vous invite à une fondue monstre,
le soir. Vous acceptez avec exaltation.
22h10 :
Votre joli pantalon de velours noir est recouvert du fromage que vous n’avez pu
amener jusqu’à votre bouche. Le moniteur, que vous aviez trouvé si beau, vous
paraît ridicule avec un affreux petit bandeau rouge sur les oreilles.
MERCREDI
Troisième
leçon de ski : vous vous tordez légèrement la cheville. Vous prenez alors
le parti énergique d’abandonner ce sport et de vous consacrer au repos. Au
déjeuner, vous annoncez votre décision à la ronde. Un fossé se creuse
immédiatement entre vous et les Skieurs Souriants. Votre cheville enfle. Après
le déjeuner, vous allez vous coucher avec un roman policier et vous attendez le
goûter. Après le goûter, deuxième roman policier et vous attendez le dîner.
Vous en profitez pour aller téléphoner aux enfants. Ils n’ont absolument pas
l’air de souffrir de votre absence. Tout se passe épatamment bien à la maison.
Curieusement, cela vous agace.
JEUDI
Les Skieurs
souriants partent bruyamment à l’aube pour une excursion de la journée. Vous
vous retrouvez seule dans une salle à manger lugubre. Par économie, la
direction de l’hôtel a fait baisser le chauffage.
VENDREDI
Septième
roman policier. Vous glissez dans une hébétude complète. Dans un sursaut, vous
décidez de vous offrir une promenade en traîneau. Un traîneau de légende avec
de petits chevaux à clochettes et
plumets et un vieux cocher à moustache et bonnet de fourrure. Dans vos rêves
d’adolescence, vous vous étiez souvent imaginée, enveloppée dans une couverture
de fourrure, glissant sur la plaine silencieuse et blanche, tandis qu’un
soupirant passionné vous embrasserait les mains et menacerait de se suicider à
la roulette russe si vous vous refusiez à lui. Vous vous retrouvez ballottée comme un sac de farine au grand
galop des chevaux lancés sur un sentier, où quatre centimètres de neige recouvrent
à peine d’énormes cailloux. Vous revenez à l’hôtel brisée de courbatures,
couverte de bleus, et dégoûtée du traîneau.
SAMEDI
Une soirée
costumée est annoncée pour le soir. Il semble que tous vos compagnons l’avaient
prévue et amené de Paris de splendides déguisements. Vous, après avoir essayé
sans succès de trouver du papier crépon dans les deux épiceries de l’endroit,
vous décidez de vous déguiser en femme musulmane intégriste. Vous passez des
heures à coudre ensemble vos draps et à vous entortiller la tête dans une
serviette de toilette blanche nids-d’abeilles en guise de voile.
21h00 :
Vous descendez théâtralement l’escalier de l’hôtel. Absolument personne ne vous
remarque. Tous les yeux sont fixés sur Pauline qui est en danseuse nue. Vous
crevez de chaleur sous votre haïk et
votre hijab. Quand vous remonterez
dans votre chambre, vous ne retrouverez plus vos ciseaux et il vous sera
impossible de découdre vos draps. Vous passerez votre dernière nuit en montagne
enroulée dans vos couvertures.
DIMANCHE
Départ.
Note. Vos thés ont multiplié par trois le prix de la pension. Mais vous vous y
attendiez.
RETOUR À
PARIS
Vous ne
parlez à votre petite famille que slaloms, christianias, champion, chamois,
piste rouge et piste verte. Ils vous écoutent avec de grands yeux stupéfaits et
admiratifs. Ils sont même d’accord : votre (très léger) hâle et vos quatre
kilos supplémentaires vous vont à ravir. Aussi, le soir, tendrement blottie
dans les bras de l’Homme, décrétez-vous que rien n’est plus merveilleux que les
sports d’hiver. Après.
Extrait du recueil de
nouvelles : « Les saintes chéries. » de Nicole de Buron,
éd. « J’ai
lu ».
Nicole de Buron |
Cette
nouvelle fait partie d’un recueil dont tous les textes sont de la même
veine : ils traitent de la vie quotidienne d’une mère au foyer dévouée à
sa famille et vivant à Paris.
Nicole de
Buron en fait un portrait amusant, entre clichés et contes humoristiques. Les aventures et les déboires de cette
femme, décrits sur un ton léger et piquant, m’ont parfois bien fait rire !
Nicole de Buron est l’auteur de plusieurs scénarios
cinématographiques. « Les saintes chéries » était une série télé
culte des années 1960.
Une interview de l'écrivain, filmée en 1964, est à voir sur: "http://www.rts.ch/archives/tv/information/madame-tv/3467685-nicole-de-buron-htn". Elle y parle avec humour et joie de vivre des "Saintes chéries" et de son univers littéraire.
Une interview de l'écrivain, filmée en 1964, est à voir sur: "http://www.rts.ch/archives/tv/information/madame-tv/3467685-nicole-de-buron-htn". Elle y parle avec humour et joie de vivre des "Saintes chéries" et de son univers littéraire.
C'est excellent !!
RépondreSupprimerc'est même plus qu'excellent ! comme j'aimerai pouvoir lui dire tout le bien que je pense de ses livres !
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