(…) David remonta la rue principale, les mains
dans les poches, essayant de se donner l’air dégagé. Ce serait dur d’avoir des
amis ici ; il en avait l’amer pressentiment. On allait lui en faire baver,
c’est sûr. P’pa était complètement à côté de ses pompes quand il s’imaginait
qu’il allait se faire des copains.
Alors qu’il passait devant une petite maison de
pierre rose, il aperçut la première grille, cachée par un volet. Il comprit
qu’il suffisait d’un geste pour la rabattre et obturer complètement l’espace de
la fenêtre. C’était une grille aux barreaux entrecroisés, énormes. Les sourcils
froncés, il se mit soudain à détailler chaque maison. Autour de lui toutes les
fenêtres étaient munies de grilles cadenassées. Les portes des maisons,
elles-mêmes, semblaient bizarrement volumineuses. Trop épaisses ? Il
s’approcha d’une véranda fleurie et distingua les gros boulons sur tout le
pourtour du battant. Crénom ! C’était une porte blindée ! Une vraie
porte de prison qu’on s’était contenté de barbouiller de couleur vive. Il
déglutit une salive épaissie par la poussière.
Maintenant, il marchait plus vite, faisant le
tour des pâtés de maisons. Sur les autres faces des bâtiments, les grilles
étaient encore en place, solidement enchâssées dans l’encadrement des fenêtres.
Ainsi équipée, chaque maison avait l’air d’une prison ou d’un asile de fous.
Toutes les portes étaient en acier renforcé et l’on sentait, dans chaque
architecture, la volonté de réduire les ouvertures au maximum. La ville était
en réalité constituée d’une juxtaposition de petites forteresses maquillées à
la peinture rose ou blanche et décorées de géraniums.
David s’arrêta étourdi. Devant lui, se
dressaient les ateliers d’une grande forge d’où s’échappait un concert de coups
de marteau. Des grilles, encore marbrées par la morsure bleue des flammes,
refroidissaient contre un mur. Il y en avait assez pour équiper toutes les
cellules d’une prison d’Etat, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’on les
avait conçues pour résister aux efforts de bagnards particulièrement baraqués.
Un jet d’étincelles fusa des profondeurs du
hangar, comme un avertissement. David battit prestement en retraite. Dans la
cour d’une maison il vit un poulailler dont les barreaux entrecroisés
constituaient une cage inviolable. Des poulets déplumés se pavanaient au centre
de cette prison dans laquelle on aurait plus volontiers imaginé un tigre ou un
gorille. Les renards étaient donc si féroces dans le coin ? David se passa
la main sur le visage. Il transpirait dur et respirait mal. Un chien s’approcha
derrière un grillage, les crocs découverts. Il était constellé de cicatrices
grossièrement recousues par une main inexperte.
« Un chien de combat, songea David. Comme
celui qui nous a attaqués l’autre jour… »
Des combats de chien, c’était bien là une
distraction de poseurs de pièges. On aimait le sang dans cette ville. Le sang,
et pas beaucoup les étrangers. Il se força à bouger car il devina qu’on
l’épiait. Des rideaux remuaient derrière les fenêtres grillagées. Peut-être
même les commères avaient-elles commencé à se téléphoner de maison en
maison : « Vous avez vu ces gens ? Le gosse qui fouine
partout et la mère qui jette ses seins à la tête de nos maris ? »
Un peu plus loin un meuglement lui signala la
présence d’une étable. Une odeur de bouse et de paille mouillée flottait dans
l’air. Tournant la tête, il aperçut des stalles que fermaient des grilles
montant à plus de deux mètres de hauteur. Ce n’était plus une étable, c’était
un zoo ! Un zoo assez solide pour abriter un troupeau de rhinocéros !
Le souffle coupé, il s’approcha de la barrière.
Les vaches qui remuaient dans la pénombre étaient, elles aussi, couvertes de
cicatrices et de plaies anciennes. Plusieurs d’entre elles arboraient des
cornes brisées ou fendues. Les sutures approximatives qui serpentaient sur leur
cuir donnaient l’impression d’animaux ayant réchappé au tumulte sanglant d’une
corrida, et placés là en convalescence.
Mais c’était idiot ! On ne faisait pas de
corridas avec des vaches laitières. Quant aux rodéos, les animaux n’en
sortaient pas lacérés de la tête à la queue…
L’enfermement les rendait sans doute folles, et
elles se jetaient sur les grilles pour essayer de retrouver leur liberté. Non,
c’était encore plus stupide que le reste.
La région était infestée de renards et de
coyotes, de lynx aussi, et ces fauves s’infiltraient dans la ville à la nuit
tombée…Mais l’espacement des barreaux n’était pas assez réduit pour tenir à
l’écart. Il lui aurait suffi de s’aplatir au ras du sol pour se glisser entre
les trous de la grille.
David sentait la migraine l’envahir. Cette
ville tenait à la fois du zoo et de la prison. Tout le monde y vivait en cage,
les animaux comme les habitants. Il décida de revenir à la voiture.
(…)
Extrait du livre : « Cauchemar à
louer. » de Serge Brussolo
Un livre pour les
amateurs de fantastique : une famille quitte la grande ville pour aller
s’installer dans un fortin solitaire, témoin d’anciennes batailles, au cœur de
la forêt de Willoughby . David, le jeune
garçon, va très rapidement constater que ses parents ont un comportement
bizarre… Personnellement, j’ai trouvé le langage de cet auteur parfois un peu
trop cru. Quant à l’intrigue, souvent
prévisible, elle ne me laissera pas un souvenir impérissable.
|
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire