Pierre Corneille |
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu’à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.
Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront :
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.
Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On m’a vu ce que vous êtes ;
Vous serez ce que je suis.
Cependant j’ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Marquise-Thérèse de Gorle |
De ces ravages du temps.
Vous en avez qu’on adore ;
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.
Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qui me plaira de vous.
Chez cette race 1 nouvelle,
Où j’aurai quelque crédit 2,
Vous ne passerez pour belle
Qu’autant que je l’aurai dit.
Pensez-y, belle Marquise :
Quoi qu’un grison 3 fasse effroi,
Il vaut bien qu’on le courtise
Quand il est fait comme moi.
Pierre Corneille
Notes :
1 : Descendance
2 : Réputation
3 : Homme qui a les cheveux gris
Le poème :
Le poème a été écrit en 1658 par Pierre Corneille (1606 – 1684) pour Marquise-Thérèse de Gorle, dite Mlle Du Parc. « Marquise » est ici, non pas un titre de noblesse, mais un prénom fréquemment utilisé à l’époque de Louis XIII. Elle était une danseuse et comédienne à succès dans la troupe de Molière, une star avant l’heure. Sa grande beauté a tourné la tête à Louis XIV, mais également à quelques auteurs célèbres : La Fontaine, Molière, Racine et… Corneille.
Mais Marquise aimait papillonner. Elle quitta Corneille et ne revint pas auprès de lui, malgré les stances qu’il lui adressa… Elle lui préféra Molière. La Belle avait tout de même des excuses, puisque Corneille avait 52 ans et elle environ 28. (On ne connaît pas sa date de naissance exacte, mais les historiens supposent qu’elle est née entre 1630 et 1633).
Pour la petite histoire, on peut encore ajouter que Mademoiselle Du Parc connut malheureusement une fin tragique, puisqu’elle fut mystérieusement empoisonnée en 1668, dix ans après son idylle avec Corneille.
Eléments d’analyse :
Le premier quatrain du poème donne immédiatement le ton. Corneille s’adresse à Marquise d’une manière quelque peu cavalière (« Vous ne vaudrez guère mieux »). On sent ici une certaine amertume qu’il ne cherche pas à dissimuler. Son parti pris est de s’adresser à elle avec franchise, sans prendre de gants ni de précautions. Il la met donc d’emblée en garde sur les ravages du temps. Il a malmené son visage, mais de la même manière, elle ne sera pas épargnée : « Il saura faner vos roses / Comme il a ridé mon front ». Corneille fait là une mise en parallèle pleine d’ironie, avec une petite touche d’humour. La beauté physique et la légèreté de l’amour pour elle (rose), l’esprit et le pragmatisme pour lui (front).
Tous les êtres sont égaux devant cette inexorable décrépitude du corps qu’engendre la vieillesse. Son cycle naturel obéit à un phénomène universel qui influe sur les vies de chacun (Le même cours des planètes / Règle nos jours et nos nuits). Corneille lui rappelle donc que lui aussi a été jeune (« On m’a vu ce que vous êtes ») et qu’elle-même se retrouvera un jour dans son inconfortable position (« Vous serez ce que je suis »). Un discours de bon sens, avec une note scientifique pour l’appuyer, le tout en devient indiscutable…
Pourtant, Corneille refuse de se résumer à sa simple apparence. Il possède d’autres atouts : il fait allusion à ses talents de plume, qui lui permettent de briller malgré son âge. Ils sont un baume à son amour propre et l’aident à affronter la vieillesse sans trop de craintes (« Pour n’avoir pas trop d’alarmes de ces ravages du temps »). Etre belle, être jeune sont des avantages certains, mais ils sont éphémères. Alors que son œuvre à lui, le fera entrer dans la postérité. Un gage d’éternité, qui lui offre une supériorité incontestable selon lui: « Et dans mille ans faire croire / Ce qu’il me plaira de vous. » Il joue ainsi de son pouvoir pour intimider la jeune femme, et aligne ses arguments pour la faire plier.
Dans les derniers vers, Corneille fait encore preuve d’une ironie teintée d’humour («Quoi qu’un grison fasse effroi »). Ensuite, il affiche son orgueil avec si peu de retenue, que le poème tourne au comique et à l’autodérision : « Il vaut bien qu’on le courtise / Quand il est fait comme moi ».
Mais encore :
-Si vous désirez en savoir plus, Nadine Audoubert a écrit une biographie complète sur Marquise-Thérèse de Gorle : « Mademoiselle Du Parc, prénom Marquise ».
-Brassens a utilisé les vers de Corneille dans sa chanson « Marquise ». Pour cette chanson, les trois premières strophes du poème de Corneille ont été reprises telles quelles, puis avec l’aide avisée de Tristan Bernard, ils ont malicieusement imaginé une réponse amusante de Marquise :
« Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant
J’ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t’emmerde en attendant. »
Vous pouvez l’écouter en un clic, sur votre site musical préféré !
-La vie de Mlle Du Parc a inspiré un film à Véra Belmont, intitulé « Marquise », avec Sophie Marceau dans le rôle principal.
Merci pour cet article qui m'a été bien utile !...
RépondreSupprimerSuper, cela me fait plaisir!Merci pour votre visite!
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