dimanche 11 mai 2014

Le dormeur du val - Arthur Rimbaud


C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.


                          Arthur Rimbaud





Le poème :

Un poème extrait du recueil « Le cahier de Douai », écrit par Rimbaud en octobre 1870, lors de ses premières fugues. Il est alors âgé de seize ans.

"Le dormeur du val", éléments d'analyse :

Avec ce poème, on plonge dans la poésie du ressenti et des sensations. Rimbaud commence par nous immerger dans un univers isolé mais accueillant, fait de fraîcheur végétale. Le soldat est immédiatement perçu comme une présence insolite en cet endroit sauvage. Le fait qu’il soit «un soldat jeune, bouche ouverte,  tête nue », nous donne envie d’ajouter, lorsqu’on l’imagine: offert aux regards, à la merci du premier ennemi venu. Car il semble seul, sans défense. Cette attitude pleine de confiance, trop immature, le rend presque attendrissant. 

La suite du poème attise la curiosité du lecteur: pourquoi le cresson est-il bleu ? On pense  immédiatement au bleu, symbole d’éternité, ainsi qu’au sang bleu, privilège de la noblesse. Lorsque le poète utilise le terme de «nue », une autre représentation religieuse s’impose, avec le ciel comme manifestation directe de la sacralité. Vivant ou pas ? Nous comprenons  du moins que les apparences pourraient bien être trompeuses…

Les doutes du lecteur se précisent encore à l’instant où Rimbaud parle des glaïeuls. Ce sont des plantes estivales qui ne poussent pas naturellement en forêt, car leur bulbe ne supporte pas le gel hivernal. Ces fleurs disposées au pied du soldat font partie d’une mise en scène hautement symbolique. En effet, l’origine latine du mot glaïeul est « Gladiolus »,  qui se traduit par « petit glaive », en référence à la forme allongée et pointue de ses feuilles…

Finalement, la maladie, le froid, et l’inertie du malheureux achèvent cette approche progressive et calculée vers la révélation ultime. Rimbaud l’assène dans la dernière strophe, d’une manière si directe, qu’elle crée la surprise et tranche brutalement avec  le sentiment de paix et de tranquillité que le poète  s’évertue à transmettre depuis le début du poème. Il met en parallèle la bestialité des hommes et la bienveillance quasi maternelle de la nature environnante. Malheureusement, le jardin d’Eden ne se trouve pas dans ce monde et le réveil est  brutal sur la dure réalité d’une époque déchirée par la guerre. Cette révolte contre la guerre, mais également cette vision d’une nature porteuse  d’un idéal de pureté originelle forment quelques lignes maîtresses de la pensée de Rimbaud. 

Rien n’est approximatif ou hasardeux  dans l’écriture du poète. D’une main de maître, il sème consciencieusement ses indices  et crée ainsi un  petit suspense dont on attend la chute. Une stratégie menée avec intelligence d’un bout à l’autre du poème. Il n’hésite d’ailleurs pas à manipuler le lecteur, à l’induire en erreur,  avec un titre qui entretiendra  le doute dans son esprit jusqu’au dernier vers: « Le dormeur du val ».

La belle plume de Rimbaud sait ici rester  simple et accessible à tous. On ne peut  que se laisser entraîner par les mots et les écouter chuchoter leur histoire. Magnifique, n’est-ce pas ?

Arthur Rimbaud, courte biographie:

Arthur Rimbaud naît en France en 1854, dans une petite ville des Ardennes dans laquelle il se sent très vite à l’étroit. Son père est militaire, sa mère paysanne. Il est le second d’une fratrie de cinq enfants. Il n’a que six ans, lorsque son père quitte le foyer familial. Au cours de son enfance, Arthur endure l’éducation chrétienne très sévère d’une mère stricte et exigeante. C’est peut-être là que se trouve l’origine de sa révolte contre l’Eglise et toute forme d’autorité, ainsi que son besoin permanent de liberté.

Rimbaud à 11 ans lors de sa première communion
La mère de Rimbaud en 1890

Pourtant cette emprise  étouffante ne l’empêche pas de se montrer brillant à l’école et de gagner de nombreux prix littéraires ou de composition latine. Son professeur de rhétorique, Georges Izambard, apprécie cet élève hors norme et lui prête des livres pour compléter sa formation. Cette intelligence et cette sensibilité rares, Rimbaud les met au service de la poésie dès l’âge de 15 ans. Le premier poème de Rimbaud à paraître dans un journal s’appelle « Les étrennes des orphelins », nous sommes en 1870. Les conflits avec sa mère sont nombreux. Il fugue une première fois en 1870 et choisit de se rendre à Paris. Il sera emprisonné quelques jours pour avoir voyagé sans billet. Dès lors, il fugue à plusieurs reprises et écrit de nombreux poèmes lors de ces escapades.

Rimbaud vers 1870 ou 1871

Le jeune Rimbaud envoie ses poèmes à Verlaine en 1871. Verlaine lui demande de le rejoindre à Paris. Il l’introduit dans les milieux littéraires. Mais l’attitude violente et grossière de son protégé indispose rapidement ces intellectuels, bien qu’ils reconnaissent son indéniable talent pour la poésie. Des excès d’alcool répétés  viendront à bout de leur patience. Dans le même temps, Verlaine et Rimbaud nouent une idylle.  Verlaine, alors en couple, abandonne sa femme et tous deux décident qu’il est temps de s’éloigner de la capitale.

Rimbaud vers 1872

En 1872,  ils partent en Angleterre, puis en Belgique tout en continuant à écrire. Leur relation devient rapidement houleuse. Leur vie quotidienne est souvent  misérable. En 1873, Verlaine s’enfuit et abandonne son jeune compagnon à Londres. Mais très rapidement, Rimbaud lui manque. Ce dernier finit par le rejoindre à Bruxelles. Rimbaud veut quitter son amant, mais Verlaine, saoul, lui tire dessus au révolver. Rimbaud est légèrement blessé au poignet. Il dépose plainte contre Verlaine, qui est condamné à 2 ans de prison. Rimbaud achève d’écrire  et fait imprimer« Une saison en enfer »(1873), pour en finir avec ce tragique épisode de sa vie. 

En 1876, il s’engage dans l’armée coloniale hollandaise.  Arrivé à Batavia, il déserte et retourne en France. Il voyage en Europe, puis se fait engager en 1880 par une maison de commerce. Il voyage encore et encore, mène une vie d’aventurier,  devient  même trafiquant d’armes.  

Rimbaud est à droite près de la femme
(Photo de groupe découverte en 1998)

En 1984, il écrit « Les illuminations », son deuxième et dernier recueil de poèmes. Puis il renonce définitivement à l’écriture et poursuit sa bohème dans le monde entier. A Paris, sa notoriété grandit. Mais cela ne l’intéresse plus, il choisit l’aventure. Son surnom devient « L’homme aux semelles de vent ». 

A l’âge de 37 ans, une infection se déclare à son genou gauche. Il se fait hospitaliser en France et amputer de sa jambe. Malheureusement, il meurt peu après.

Rimbaud mourant dessiné par sa soeur isabelle, 1891

Si vous désirez approfondir la biographie de Rimbaud, je vous suggère de suivre ce lien vers Wikipédia : 

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