vendredi 10 juillet 2015

Le cygne - Sully Prudhomme


Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l’onde avec ses larges palmes
Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
À des neiges d’avril qui croulent au soleil ;
Mais, ferme et d’un blanc mat, vibrant sous le zéphire,
Sa grande aile l’entraîne ainsi qu’un lent navire.
Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les eaux,
Le courbe, gracieux comme un profil d’acanthe1
Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante.
Tantôt le long des pins, séjour d’ombre et de paix,
Il serpente et, laissant les herbages épais
Traîner derrière lui comme une chevelure,
Il va d’une tardive et languissante allure.
La grotte où le poète écoute ce qu’il sent,
Et la source qui pleure un éternel absent,
Lui plaisent, il y rôde ; une feuille de saule
En silence tombée effleure son épaule ;
Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur,
Superbe, gouvernant du côté de l’azur,
Il choisit, pour fêter sa blancheur qu’il admire,
La place éblouissante où le soleil se mire.
Puis, quand les bords de l’eau ne se distinguent plus,
À l’heure où toute forme est un spectre confus,
Où l’horizon brunit rayé d’un long trait rouge,
Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge,
Que des rainettes font dans l’air serein leur bruit,
Et que la luciole au clair de lune luit,
L’oiseau, dans le lac sombre où sous lui se reflète
La splendeur d’une nuit lactée et violette,
Comme un vase d’argent parmi des diamants,
Dort, la tête sous l’aile, entre deux firmaments.


1 : L’acanthe est une plante cultivée dans le midi de la France comme ornementale, à feuilles longues (50 cm), très découpées, recourbées et d’un beau vert. //Ornement d’architecture imité de cette plante et caractéristique du chapiteau corinthien. (Larousse)









Sully Prudhomme
« Le cygne » est un poème de René-François Sully Prudhomme extrait du recueil « Les solitudes », paru en 1869.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire