Jean-Baptiste Lully |
Lully, le poids d’un bâton et le choc de la passion
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Louis XIV a son musicien : Jean-Baptiste Lully, immigré italien. Ils ont six ans d’écart et se fréquentent depuis l’adolescence. Le roi a aussi son auteur de théâtre : Molière. Les trois sont très jeunes, ils se connaissent bien et Lully fait rire aux éclats Molière, son aîné de dix ans. Comme ils sont potes, Lully, dont le talent explose toute la musique de l’époque, écrit la plupart des musiques et des ballets des œuvres de Molière.
Lully est marié et il a des enfants, mais il a aussi des maîtresses et des amants, et notamment un petit page qu’il s’est tapé au vu et au su de tout le monde, ce qui entraînera sa disgrâce auprès du roi. Lully est même accusé d’avoir sodomisé la moitié des chantres de la chapelle. Comme toute la cour, il est libertin et va souvent à l’enclos du Temple, où se trouvent les bordels, les salles de jeu et toutes les formes de débauche. Il aime également le vin, qui n’est pas de grande qualité, mais il picole beaucoup, ce qui n’arrange pas sa santé.
Car Lully et le roi ont une maladie commune : le diabète. Cette maladie favorise les infections de toutes sortes. Des apothicaires et des médecins ont découvert que les urines du roi avaient un goût sucré : la pratique du temps était à la dégustation des urines si bien ridiculisée par Molière. Mais le sujet de préoccupation de la cour est à la fistule anale du roi. Tout le monde en parle et veut la voir. C’est un privilège de voir le trou du roi et son suintement purulent. Mais elle finit par guérir, plus par hasard que par traitement. Cela dit, l’était-elle vraiment ou le roi en avait-il juste marre de montrer son anus ? Nul ne sait. Quoi qu’il en soit, il faut fêter l’évènement ! Alors, Lully s’empresse de répéter son Te deum à la gloire de la guérison de l’anus du Roi- Soleil. Le 8 janvier 1687, aux Feuillants, un couvent dans Paris, il va diriger son œuvre avec tout son grand orchestre afin de remercier le Ciel. C’est la tour Eiffel avec Johnny Hallyday, en quelque sorte, ou les Rolling Stones à Broadway.
Pour mener ses troupes, Lully utilise une grande canne de plus de deux mètres de haut, recouverte d’argent et surmontée d’un lanternon ouvragé. Il se sert de cette canne magistrale pour marquer le rythme en tapant le sol et en faisant des gestes que les musiciens comprennent. Avec sa perruque de cocker, ses habits de double-rideau et ses mouvements frénétiques, il fait penser à un brave toutou trop heureux d’avoir trouvé un grand bâton. Les mouvements sont amples et saccadés, comme pour montrer sa puissance dans l’église et saluer le roi. Soudain, un cri vient interrompre la musique. C’est Lully qui hurle et se courbe en se tenant le pied. Dans sa passion de la direction musicale, il a frappé violemment son pied de sa baguette géante. Il a une plaie béante, qui saigne abondamment, et il ressent une douleur atroce. À l’époque, une plaie se soigne comme sur un champ de bataille : de l’eau, des cautérisations au fer brûlant, une amputation, ou des applications de cataplasmes à base d’herbes ou de mousses. S’en sortir est miraculeux.
Lully marche avec grande difficulté, comme lors des fractures des métatarses. Le roi dépêche ses barbiers, chirurgiens de l’époque, pour soigner cette fracture ouverte. Mais Lully est en disgrâce et on le laisse chez lui. D’ailleurs, les hôpitaux ne sont là que pour la misère ; les gens riches ou puissants sont soignés à domicile ou plus précisément : pas soignés, et chez eux !
Le diabète favorise les infections, Lully est en plus porteur de maladies sexuellement transmissibles, et tout va s’aggraver très vite. L’agonie commence. L’infection remonte inexorablement et lentement dans son corps, sous le regard sans doute dubitatif de quelques médecins. De jour en jour les chairs, les os sont colonisés par les bactéries, et les douleurs sont atroces. Puis les bactéries commencent à se diffuser dans tout l’organisme. La fièvre fait des bonds et le pied n’est plus qu’une énorme plaie nauséabonde et purulente qui progresse vers la cuisse. La gangrène monte en trois mois jusqu’à envahir tout le corps du musicien. Les germes se multiplient sans aucune difficulté. Lully souffre d’un choc septique avec une défaillance multiviscérale, c’est-à-dire que plus aucun de ses organes ne fonctionne et qu’ils sont peu à peu assiégés par les bactéries. Mais, à cette époque, on ne connaît rien en physiologie et en anatomie et moins que rien en traitement. Et surtout, l’Eglise interdit la recherche médicale et les autopsies. L’agonie de Lully est épouvantable, et personne ne peut l’aider. […]
Avec toute la gratitude de l’Eglise qui ne l’aimait pas et de l’anus du roi pour lequel il a donné sa dernière musique, Lully est mort atrocement sans tambour ni trompette, le 22 mars 1687, à l’âge de cinquante-quatre ans.
Extrait du livre : « On ne meurt qu’une fois et c’est pour si longtemps, les derniers jours des grands hommes » de Patrick Pelloux, éd. Robert Laffont, p.56 à 59
L’auteur :
Patrick Pelloux |
Patrick Pelloux est un médecin urgentiste français , né en 1963. Il bénéficie d’une belle aura médiatique en raison de ses prises de position pour la défense de l’hôpital public. Il est également chroniqueur au journal « Charlie Hebdo », à la télévision, ainsi qu’à la radio et publie régulièrement des ouvrages d’inspiration médicale.
Le livre :
Suite au succès rencontré par une série de chroniques estivales de Patrick Pelloux pour « Charlie Hebdo », consacrées aux derniers instants de personnages célèbres, les lecteurs lui demandent d’en faire une compilation. Un ouvrage paraît chez Robert Laffont en 2013, intitulé : « On ne meurt qu’une fois et c’est pour si longtemps ».
L’auteur y relate la fin de plusieurs rois de France, d’hommes de plume comme Jean de La Fontaine, Voltaire, Molière, Balzac ou Zola, d’hommes politiques tels que Churchill, Danton ou Staline. Mais on y trouve aussi des artistes, Jésus, une femme de science, des révolutionnaires, un résistant et même des animaux célèbres (Saturnin, Lassie…) ! Bref, de quoi satisfaire toutes les curiosités et plus encore, puisqu’au travers de ces portraits, c’est souvent une époque que l’on découvre. Ainsi, le contenu du livre ne dément pas la maxime suivante : « Dis-moi comment tu meurs, je te dirai qui tu es…et à quoi ressemblait ton temps. »
L’extrait :
Ne manquez pas de lire l’extrait que je vous propose sur les derniers instants de Lully : on dit que depuis cet épisode tragique, les chefs d’orchestre battent la mesure en l’air avec une petite baguette, c’est plus prudent…
Mon avis :
Patrick Pelloux nous livre les derniers instants de ces célébrités tout en sachant rester captivant et intéressant. Le défi n’était pourtant pas gagné d’avance puisque ces descriptions, souvent terribles, s’enchaînent au fil des pages et peuvent rapidement tourner à l’indigestion : entre les ascaris de Louis XIII qui rongent ses entrailles et lui sortent par la bouche, le bras et autres orifices, la terrifiante torture de Ravaillac à travers Paris, racontée par le menu, en passant par la putréfaction généralisée de Louis XIV suite à un diabète non traité, il y a de quoi traumatiser le lecteur le plus endurci ! Eh bien, croyez-moi, on ne referme pas le livre ! On veut même en savoir encore un peu plus …
La multiplication des références historiques, les petites anecdotes, l’œil du médecin sur les diverses pathologies, le ton humoristique (employé à des moments opportuns, bien entendu), un style d’écriture vivant qui implique le lecteur, tout est adroitement construit pour que l’on adhère au texte jusqu’à la dernière page.
La première pensée que j’ai eue en terminant le livre a été suivante: « Quelle chance de vivre à notre époque tout de même ! »
C’est donc un recueil que je vous conseille si vous aimez l’histoire, la médecine ou si vous êtes de nature curieuse, tout simplement. Pas d’affolement … Le vocabulaire employé par l’auteur est facilement compréhensible par tous, même si vous n’avez aucune notion de terminologie médicale !
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