dimanche 21 avril 2013

Guernica - Pablo Picasso (analyse)




« Non, la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements, c’est un instrument de guerre offensif et défensif contre l’ennemi. » Pablo Picasso (1881 -1973)

Pablo Picasso






Que s’est-il passé à Guernica?

Nous sommes le 26 avril 1937. L’Espagne est en plein chaos: le général Franco et une partie de l’armée se sont opposés  au vote du peuple qui confiait le gouvernement de la République espagnole aux partis de gauche. Le pays est déchiré par une guerre civile sanglante. L’Allemagne nazie et l’Italie de Mussolini soutiennent militairement le général et envoient des avions armés de bombes incendiaires et explosives à Guernica,  une petite ville basque du nord de l’Espagne, peuplée de 6000 habitants.

Le lundi, c’est jour de marché à Guernica. Les gens sont venus de toute la région environnante, les rues sont bondées. A 16 heures 30, les premiers avions allemands de la légion Condor survolent la ville. C’est la panique. Trois heures et quinze minutes d’enfer : c’est le temps qu’il a fallu pour lancer 50 tonnes de bombes et 3000 engins incendiaires. Le bilan officiel des victimes sera de 1654 morts et plus de 800 blessés, tous des civils sans défense…



Et Picasso peint …

Picasso habite en France, à Paris. La République espagnole lui a commandé une œuvre pour l’Exposition internationale de Paris, qui doit se dérouler entre mai et novembre 1937. Le 1 er mai 1937, lorsqu’il lit les articles de journaux relatant le massacre de Guernica, lorsqu’il voit ces photos de ruines et de désolation, Picasso est sous le choc : il décide alors de peindre sa douleur, sa révolte,  son rejet de la violence.

Le jour-même, il commence à dessiner et fait ses premières esquisses sur papier dans son atelier de la rue des Grands-Augustins numéro sept. 

Esquisse sur papier
Les différentes étapes de la création de Guernica sont photographiées par sa compagne et muse,  Dora Maar. C’est d’ailleurs la première fois que Picasso tolère une présence lorsqu’il crée. Un merveilleux témoignage de la genèse d’une œuvre.

Le 11 mai, Picasso peint à l’huile sur une toile gigantesque de plus de sept mètres sur trois mètres cinquante. En blanc, gris, noir, avec quelques touches de jaune. Des couleurs qui rappellent celles des clichés de la presse de l’époque. 








Il dévoile des formes géométriques propres au cubisme, qui s’entrechoquent dans une maison bombardée où règne un indescriptible chaos…

Cette immense fresque  comporte  en son centre un cheval transpercé par une lance, animal symbolique qui représente l’âme du peuple espagnol, peuple martyr. Son corps est strié de petites lignes, comme s’il portait sur lui, imprimé dans sa chair, le décompte de ses innocentes victimes. Il domine de toute sa hauteur un soldat décapité, le regard figé dans la mort, qui semble encore hurler. A gauche, un puissant taureau au regard impassible, nous fixe d’un regard inexpressif. Ses oreilles sont comme deux lames de couteaux, sa queue s’élève comme un panache de fumée : il représente la force brutale. Et puis trois femmes : celle de droite, brûlée vive. Ses yeux ont pris la forme d’une larme, elle tend ses bras vers le ciel comme pour implorer de l’aide. A gauche, une mère ivre de douleur qui tient son enfant mort dans les bras : c’est l’innocence assassinée… Ses yeux ont également la forme d’une larme, elle regarde le taureau et le cri qu’elle lui adresse est aiguisé comme une arme blanche : les injustices de la guerre engendrent des besoins de vengeance. Et celle du centre, hagarde et courbée par la douleur, qui se traîne, les mains vides, un genou blessé à terre. Etre torturé, brisé, elle semble inexorablement attirée par une lumière porteuse de vie.

Regardez dans l’ombre entre le taureau et le cheval, à peine perceptible à notre regard, se trouve la colombe de la paix, avec son aile cassée, qui lance un cri de désespoir vers le ciel. Elle a échoué à réconcilier les deux ennemis et semble maintenant happée par l’obscurité et le néant.

Tout est horreur, souffrance et cris. Un immense vacarme s’échappe de cette toile ! Les victimes qui hurlent, le cheval qui hennit, ses sabots qui frappent le sol, les craquements sinistres de la maison en feu…

Pourtant, un ange qui semble descendre du ciel, s’introduit par la fenêtre. Son regard est doux, plein de peine. Il découvre avec stupeur cette scène cauchemardesque. A bout de bras, il tient une lampe à pétrole qui diffuse une lueur d’espoir dans ce chaos. Avez-vous remarqué la fleur délicate qui pousse sur la lame brisée du soldat ? Une toute petite chose, perdue dans cet entassement confus et qui risque fort de se faire écraser. Elle détient  pourtant entre ses fins pétales un message essentiel :   la vie est plus forte que la mort, la paix vaincra sur l’horreur de cette guerre…

La fresque est exposée :

Le tableau, terminé en un mois, est installé dans le pavillon espagnol de l’Exposition universelle de Paris. 

Exposition universelle de Paris, 1937
En face de « Guernica » se trouve un portrait de Federico Garcia Lorca, un poète espagnol assassiné sans jugement par le camp franquiste. A côté, un poème de Paul Eluard, grand ami de Picasso :

La victoire de Guernica

Beau monde des masures
De la nuit et des champs

Visages bons au feu visages bons au fond
Aux refus à la nuit aux injures aux coups

Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d’exemple

La mort cœur renversé

Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l’eau le sommeil
Et la misère
De votre vie

Ils disaient désirer la bonne intelligence
Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
Faisaient l’aumône partageaient un sou en deux
Ils saluaient les cadavres
Ils s’accablaient de politesses

Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde

Les femmes les enfants ont le même trésor
De feuilles vertes de printemps et de lait pur
Et de durée
Dans leurs yeux purs

Les femmes les enfants ont le même trésor
Dans les yeux
Les hommes le défendent comme ils peuvent

Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre son sang

La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile

Hommes pour qui ce trésor fut chanté
Hommes pour qui ce trésor fut gâché

Hommes réels pour qui le désespoir
Alimente le feu dévorant de l’espoir
Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l’avenir

Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison.

     Paul Eluard (Cours naturel, 1938)



Au cours de l’exposition, un officier allemand demande à Picasso : « C’est vous qui avez fait cela ? », l’artiste lui répond du tac au tac : « Non, c’est vous ! »

Après l’exposition, Picasso refuse que sa fresque aille en Espagne tant que le pays ne sera pas redevenu démocratique. Le transatlantique « Normandie » la mène donc aux Etats-Unis. Elle rejoint le musée d’art moderne de New- York en 1939 où elle restera exposée quarante-deux ans, puisque le général Franco décède en 1975, sonnant ainsi le glas de la dictature. En 1981, « Guernica » est enfin exposé au musée du Prado de Madrid, puis au musée de la Reine Sofia en 1992.


Musée de la Reine Sofia

2 commentaires:

  1. Magnifique !!!!! ;) Merci Marie. jte connait pas mais c vraiment génial sque tu fais J' ADORE :) !!!

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    1. Waouh!!! :) Voilà un commentaire qui fait drôlement plaisir, merci! Je t'envoie un gros bisou même si je ne te connais pas non plus... A très bientôt!

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