vendredi 20 décembre 2013

La Noël - Jean Aicard


Bénédiction du feu

L’hiver resserre autour du foyer la famille.
Voici Noël. Voici la bûche qui pétille ;
Le « carignié », vieux tronc énorme d’olivier
Conservé pour ce jour, flambe au fond du foyer.
Ce soir, le « gros souper » sera bon, quoique maigre.
On ne servira pas l’anchois rouge au vinaigre,
Non, mais on mangera ce soir avec gaîté
La morue au vin cuit et le nougat lacté,
Oranges, raisins secs, marrons et figues sèches.
Dans un coin les enfants se construisent des crèches,
Théâtres où l’on met des pierres pour décor
Et de la mousse prise aux vieux murs, puis encor’

Des arbres faits d’un brin de sauge, et sur ces cimes,
Le long des fins sentiers côtoyant ces abîmes,
Des pâtres et des rois se hâtent vers le lieu
Où vagit, entre l’âne et le bœuf, l’enfant-Dieu.
Lorsque naquit en lui la Parole nouvelle,
Le blé vert égayait la terre maternelle.
Or, dès la Sainte-Barbe, on fait (semé dans l’eau)
Lever pour la Noël un peu de blé nouveau :
Sur des plats blancs on voit, humble, verdir cette herbe,
Gage mystérieux de la future gerbe,
Qui dit : « Aimez. Croyez. Noël ! Voici Noël ! 
Je suis le pain de vie et l’espoir éternel. »

Si l’on vit loin les uns des autres dans l’année,
Chacun du champ lointain, de la ville éloignée
Arrive, à la Noël, pour revoir les parents,
Les anciens, les petits qu’on retrouve plus grands ;
Pour boire le muscat dont l’odeur donne envie ;
Pour causer tous ensemble et se conter sa vie,
Pour montrer qu’on n’est pas des ingrats oublieux
Capables de laisser tout seuls mourir les vieux.

« A table ! » - L’on accourt. La sauce aux câpres fume ;
Le nougat luit… ; mais c’est une vieille coutume
Qu’avant de s’attabler on bénisse le feu.

La flamme rose et blanche avec un reflet bleu
Sort de la bûche où dort le soleil de Provence.
Et le plus vieux, avec le plus petit, s’avance :
« O feu ! dit-il, le froid est dur ; sois réchauffant
« Pour le vieillard débile et pour le frêle enfant ;
« Ne laisse pas souffrir les pieds nus sur la terre ;
« Sois notre familier, ô consolant mystère !
« Le froid est triste, mais non moins triste est la nuit ;
« Et quand tu brilles l’ombre avec la peur s’enfuit ;
« Prodigue donc à tous ta lumière fidèle :
« Qu’elle glisse partout où l’on souffrit loin d’elle,
« Et ne deviens jamais l’incendie, ô clarté !
« Ne change pas en mal ta force et ta bonté ;
« Ne dévore jamais les toits couverts de paille,
« Ni les vaisseaux errants sur la mer qui tressaille,
« Rien de ce qu’a fait l’homme, et qu’il eût fait en vain,
« O feu brillant, sans toi, notre allié divin. »

Le vieillard penche un verre, et le vin cuit arrose
La longue flamme bleue au reflet blanc et rose ;
Le carignié mouillé crépite, et tout joyeux,
Constellant l’âtre noir, fait clignoter les yeux.
On s’attable. La flamme étincelante envoie
Aux cristaux, aux regards, ses éclairs et sa joie ;
Le vieux tronc d’olivier qui gela l’autre hiver
Se consume, rêvant au temps qu’il était vert,
Aux baisers du soleil et même à ceux du givre ;
Tel, mourant dans la flamme, il se prend à revivre,
Et l’usage prescrit qu’on veille à son foyer,
Pour que, sans s’être éteint, il meure tout entier.


                   Jean  Aicard





L’auteur :

Jean Aicard
Jean Aicard est né en France en 1848. Il fait la connaissance d’Alphonse de Lamartine au cours de ses années de lycée. Cette rencontre   En 1861, à l’âge de 13 ans, il publie son premier poème dans un journal local. Par la suite,  il opte pour des études de droit sous l’influence de sa famille, mais finit par les abandonner. Ses goûts profonds le portent plutôt vers le monde littéraire. En 1867, il publie son premier recueil de poèmes : « Les Jeunes Croyances ». Toute sa vie est consacrée à l’écriture : poèmes, romans, pièces de théâtre. En 1909, il entre à l’Académie française.
Il décède en 1921.

Si vous désirez approfondir la biographie de cet auteur, je vous suggère les liens suivants :

Ou le site officiel  de Jean Aicard:



Le poème :

Un texte dans le style « documentaire en vers », qui nous décrit la tradition ancestrale de la bénédiction du feu.
Ce poème est paru en 1874 dans le recueil  de Jean Aicard, « Les poèmes de Provence ».

Vous trouverez un article relatant, par le menu, d’autres habitudes liées aux fêtes de Noël, en cliquant sur le lien suivant :

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