Il avait
fait sa porte d'entrée de la fenêtre ouverte sur la cour intérieure de
l'immeuble. Un bref roulement de tambour sur le parquet m'avisait de son
arrivée.
Flibustier
de gouttière, mon domicile constituait sans doute le port, où il venait goûter
quelques instants de repos dans sa traversée du quartier, chaque jour recommencée.
A combien
de voitures avait-il échappé ?
Après une
comédie de frôlements et de mots ronronnés, destinés à me convaincre de
l'intaltérable amour qu'il me portait, il s'expliquait avec l'assiette que je
posais devant lui. Sa vigilance était de chaque seconde. Lorsqu'il mangeait il
s'interrompait au moindre tapage afin d'en mesurer le danger potentiel. Quand
il estimait que rien de sérieux ne pouvait advenir il reprenait sa mastication
consciencieuse. Je notais qu'il gagnait en confiance et au bout de quelques
jours, les gargouillis de la cafetière, jugés menaçants au début, ne
bénéficiaient plus que du statut de troublants.
Combien
d'autobus l'avaient effleuré sans lui démonter les os ?
Je
remarquais, de temps à autre, sa frêle silhouette, furetant dans un jardin du
voisinage. Il avait une prédilection pour les recoins, les replis, qui lui
permettaient de se soustraire aux regards. Un beau jour je l'avais
même surpris dormant sur une pile de draps au fond d'une armoire dont j'avais
laissé la porte entre-ouverte. Ses flancs creusés sous un pelage charbonneux,
témoignaient de son appartenance au monde des traîne-misère. C'était le prix à
payer pour sa liberté. Aucune Duchesse ou autre Milord ne figuraient dans
son carnet d'adresses, il avait fait sa société des pirates de greniers et
autres trafiquants de poubelles que le hasard avait mis sur sa route.
Combien
de crissements de pneus l'avaient contraint à un demi-tour salvateur alors
qu'il traversait l'avenue ?
De sa bohème
il tirait sans doute quelque fierté, c'est du moins ce que j'imaginais,
alors que je le voyais repartir d'une démarche digne, indomptée.
Je l'ai
trouvé ce soir, étendu dans l'eau grise du caniveau, le visage tordu d'un
sourire de ferraille, une roue imbécile l'avait à jamais enfermé dans la mort.
Désormais
c'est sur son absence que se refermera ma fenêtre.
Jacky
Mazel
Tous droits réservés
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Jacky Mazel m'a précisé que c'est une histoire vécue.
RépondreSupprimerMarie pour "Textes à tout vent"