Tout est muet,
l’oiseau ne jette plus ses cris.
La morne plaine est blanche au loin sous le ciel gris.
Seuls, les grands corbeaux noirs, qui vont cherchant leurs
proies,
Fouillent du bec la neige et tachent sa pâleur.
Voilà qu’à l’horizon s’élève une clameur ;
Elle approche, elle vient, c’est la tribu des oies.
Ainsi qu’un trait lancé, toutes, le cou tendu,
Allant toujours plus vite en leur vol éperdu,
Passent, fouettant le vent de leur aile sifflante.
Le guide qui conduit ces pèlerins des airs
Delà les océans, les bois et les déserts,
Comme pour exciter leur allure trop lente,
De moment en moment jette son cri perçant.
Bruit étrangement, et par le ciel déploie
Son grand triangle ailé qui va s’élargissant.
Mais leurs frères captifs répandus dans la plaine,
Engourdis par le froid, cheminent gravement.
Un enfant en haillons en sifflant les promène,
Comme de lourds vaisseaux balancés lentement.
Ils entendent le cri de la tribu qui passe,
Ils érigent leur tête ; et regardant s’enfuir
Les libres voyageurs au travers de l’espace,
Les captifs tout à coup se lèvent pour partir.
Ils agitent en vain leurs ailes impuissantes,
Et, dressés sur leurs pieds, sentent confusément,
À cet appel errant, se lever grandissantes
La liberté première au fond du cœur dormant,
La fièvre de l’espace et des tièdes rivages.
Dans les champs pleins de neige, ils courent effarés,
Et jetant par le ciel des cris désespérés
Ils répondront longtemps à leurs frères sauvages.
Guy
de Maupassant
L’auteur :
Guy de Maupassant |
Guy de Maupassant (1850 – 1893) est un écrivain français,
dont l’œuvre abondante est entrée dans
les classiques littéraires du 19 ème. Après un emploi monotone en tant que
commis au Ministère de la Marine, puis au Ministère de l’Instruction Publique,
il se lance dès 1880 dans la littérature, sur les encouragements de Flaubert,
son grand ami et maître. Il débute dans le journalisme, tout en occupant ses
loisirs à l’écriture de nouvelles et de romans. Très vite, il connaît un grand
succès populaire avec la publication de « Boule de suif », sa
première nouvelle. Tout au long de sa carrière littéraire, il jouira d’une
belle notoriété et sera présenté dans les salons les plus courus de l’époque.
Mais Maupassant ne sera un écrivain prolixe qu’entre 1880 et 1890, années au
cours desquelles il publie 6 romans, 3 récits de voyage, des reportages de
presse et plus de 300 contes et nouvelles ! Ces nouvelles, réalistes,
évoquent souvent la guerre, la vie des paysans normands, la folie, les
histoires amoureuses, la vieillesse, la peur, la misère, la solitude, la folie,
etc…
La vie d’écrivain de Maupassant fut très courte : en
effet, il est atteint de syphilis dès 1877, maladie vénérienne incurable à
l’époque. L’écrivain souffre de violentes migraines. Puis, le mal progressant
inexorablement, il s’aggrave de troubles visuels, suivis d’hallucinations et de
délires, qui le mèneront jusqu’à la folie. En proie à une dépression tenace, il
est interné en 1892, après une tentative de suicide et mourra après 18 mois
d’inconscience presque totale, associée à une paralysie générale. Fin tragique
pour un homme à la réputation
sulfureuse, qui adore les femmes, les plaisirs charnels, le grand air, les
voyages sur son yacht, l’argent. Il semblait beaucoup plaire à ces dames avec
sa belle prestance et la carrure athlétique qu’il doit au canotage. Il ne se
marie pas, mais aura trois enfants qu’il ne reconnaîtra jamais. Sa perception
du mariage sera toujours celle d’un engagement voué à l’échec. Maupassant ne
recherche l’épanouissement que dans l’acte sexuel.
Son parcours de vie, ponctué par l’abandon d’un père
infidèle à sa mère, une jeunesse passée dans un internat catholique qui lui
inspirera une méfiance profonde pour la religion, son frère Hervé mort fou, une
mère dépressive qu’il adore, son vécu traumatisant de la guerre dans ses années
de jeunesse, sa maladie qui le fait tant
souffrir, vont l’amener vers une vision assombrie du monde et de la nature
humaine. Toutes ces épreuves lui forgent
un caractère pessimiste, angoissé et désabusé qui se retrouve dans toutes ses
œuvres littéraires. En découle parfois également, un besoin vital de recul et
de solitude sur son bateau ou dans sa villa de la Guillette à Étretat :
les comédies mondaines auxquelles il s’astreint, ne font pas écho à son penchant pour la
mélancolie et la méditation.
Si vous désirez approfondir la biographie de Maupassant, je
vous conseille d’aller fureter sur le site : www.maupassantiana.fr. Vous y
trouverez une foule de renseignements utiles et de regards croisés de
contemporains de l’écrivain.
Autre site intéressant regroupant la correspondance de
Maupassant : « maupassant.free.fr/corresp1. » On peut même
y lire sa dernière lettre.
Le poème :
« Les oies sauvages » a été publié en 1880 dans le
recueil de poèmes de Maupassant intitulé « Des vers ».
Mon avis :
Bien que Maupassant soit de nature profondément pessimiste, ce
qui m’exaspère parfois, je ne peux m’empêcher d’admirer son talent de conteur.
Quelle aisance pour planter un décor en quelques mots choisis, et créer une
atmosphère qui laisse une empreinte forte sur le lecteur ! Dans ce poème,
il va faire s’entrechoquer deux mondes qu’il décrit avec beaucoup de finesse et
d’intelligence.
Tout d’abord, celui des oies sauvages, communauté exemplaire
à laquelle on aspire tous, légère, vivante et joyeuse, qui avance à travers les
aléas de manière solidaire, mais
ordonnée, sous la direction d’un guide responsable, qui sait précisément vers
quelle destination il mène sa tribu.
Au sol, dans un monde de froidure où la mort guette, se
trouvent les pathétiques oies domestiques que nous sommes: triste société
individualiste, sous le joug de meneurs insouciants et immatures, prisonnière
de son matérialisme, impuissante face à ses désenchantements, mais qui conserve
au fond d’elle la nostalgie de la
liberté et de l’insouciance. Une utopie qui, précisément, entretient la
conscience de notre malheur et un inéluctable sentiment d’échec.
Vous aurez constaté la construction du poème, avec cet espèce
de bloc monolithique de vers que Maupassant crée lorsqu’il parle des oies
domestiques. Il traduit presque visuellement cette société compacte, rigide, lourde,
qui ne parvient qu’à plomber une existence.
Il y aurait tant de choses à dire sur ce poème ! Moi, je
le trouve tout simplement magnifique, d’une grande force d’évocation…
Super ce site ! Très bien expliqué , facile à lire... Mais ou est la date de la poésie : les oies sauvages ?
RépondreSupprimerCe qui vous intéresse se trouve au chapitre "Le poème" (il date de 1880).
RépondreSupprimerMerci pour votre gentil message et à bientôt!