On nous dit qu’il est de Cambronne.
C’est bien possible, mais voilà
Très sincèrement je m’étonne
Que notre humanité bougonne
Ait pu s’en passer jusque-là.
Souvenez-vous des temps d’Homère !
Homère d’alors, quel mordant
T’eût donné ce mot légendaire
Si tu avais, grand visionnaire,
Pu te le mettre sous la dent !
Que serait donc notre existence
Si nous devions nous en passer ?
N’est-il pas bon français de France,
Riche en couleurs, riche en nuances ?
Essayez de le remplacer,
Par exemple, sortant de table,
Quand, ayant abusé, hélas,
Par trop de nectars délectables,
Dans une obscurité du diable,
Vous tombez sur un bec de gaz !
Vous le lâchez, ça vous soulage,
Vous ne sentez plus la douleur.
Ah ! Messieurs, le bel avantage,
Quel secours, quel appui ! J’enrage
Quand je vois d’austères censeurs
Aux visages de funérailles
Vouloir nous ôter ce trésor,
Ce cri – jailli sous la mitraille –
Du fond des humaines entrailles
D’un héros marchant à la mort !
Il peut tout dire : ardent, lyrique,
Tendre ou sec, placide, enragé,
Plébéien, aristocratique,
Il est à nous, il est unique,
Ils ne l’ont pas à l’étranger !
Je le vois, rocher solitaire,
Car de tous les mots que l’on sait
Il est presque seul, sur la terre,
À ne pas avoir, ô mystère,
De rime dans les mots français.
Si, une seule, le mot : perde…
Là devant, je me sens perdu,
Car il faut une rime à perdre,
Maintenant, et je n’ai que…
Pardon…ce fut sous-entendu !
Pourtant cet illustre vocable,
Je voudrais que, par un décret,
Il fût, en ces temps misérables,
Dont la cruauté nous accable,
Mis en quelque sorte au secret,
Afin qu’au fond de ce silence,
Tendant lentement ses ressorts,
Accumulant force et puissance,
Se chargeant d’âpre violence,
Au nom des vivants et des morts,
Il puisse, un jour, jaillir, sublime,
Du cœur des peuples outragés,
Tendres moutons, pauvres victimes,
Rejetant dans les noires abîmes,
D’un seul coup, leurs mauvais bergers !
Cri vengeur, cri pur, cri superbe,
De l’éternelle humanité,
Que nous leur jetterons en gerbe,
Quand, enfin, nous leur dirons : MERDE !
En saluant la Liberté !
Jean Villard – Gilles
L’auteur :
Jean Villard - Gilles |
Jean Villard, dit Gilles, est né à Montreux (Suisse) en
1895. Il choisit de se consacrer à la comédie et au théâtre à 23 ans. Dès 1932,
il devient auteur, compositeur, interprète. Gilles est doté d’une personnalité
extravertie et joyeuse. Il a beaucoup
d’humour et son sens de l’ironie apporte une touche impertinente à son
répertoire. Il écrit plus de 300 chansons, dont « Les trois
cloches » et « À l’enseigne de la fille sans cœur », deux titres
qui sont interprétés par la célèbre Edith Piaf. Gilles ouvre plusieurs
cabarets : en Suisse, puis à Paris,
rue de l’Opéra. Toutes les célébrités de
l’époque se produisent dans cet établissement. C’est Gilles qui découvre puis
engage le grand Jacques Brel. Il décède en Suisse (à St-Saphorin) en 1982 à
l’âge de 87 ans. Les viticulteurs du lieu ont aménagé un petit vignoble en souvenir de ce bon vivant.
Le poème :
Ce poème est publié dans le recueil de
Jean-Villard-Gilles : « Poèmes et chansons ».
Oserais-je préciser, pour les visiteurs non-francophones de
ce site, que « le mot de Cambronne » est un terme distingué pour
désigner le juron le plus commun de la langue française : m**** !
J’ai trouvé ce poème amusant, car je ne me doutais pas qu’un
auteur puisse choisir de traiter ce sujet scabreux… en vers. Bon d’accord, les
allusions manquent parfois de finesse, mais
admettons tout de même qu’il est
difficile de faire de la broderie avec des moufles ! Je n’ai pas résisté à
l’envie de le partager avec vous, j’espère que vous le trouverez aussi
divertissant que moi…
Qui était le général Pierre
Cambronne ?
Général Cambronne |
Pierre Jacques Étienne Cambronne est né à Nantes (Bretagne,
France) en 1770. Issu d’une famille de commerçants, il étudie dans un collège
religieux, puis s’engage dans l’armée à l’âge de 22 ans. Très rapidement, il
fait preuve d’une bravoure au combat
absolument remarquable. Il sera d’ailleurs blessé à plusieurs reprises pendant
sa carrière. Il multiplie les actions glorieuses au cours des
nombreuses guerres auxquelles il
participe et gagne peu à peu ses galons dans
la hiérarchie militaire. En guise de remerciement, il est anobli en 1810 par un titre de baron. Homme
intègre et fidèle, il demande et obtient la faveur de suivre Napoléon dans son exil sur l’île
d’Elbe. À son retour à Paris, il est décoré de la Légion d’Honneur et
devient comte d’Empire. En 1813, il est nommé général de brigade, titre qu’il
refuse.
Le 18 juin 1815, il commande le dernier carré de la garde à
la bataille de Waterloo. Il est sommé de se rendre par le général britannique
Charles Colville : « Braves Français, rendez-vous ! » Cambronne lui répond : « La garde
meurt et ne se rend pas ! ».Puis, devant l’insistance de l’Anglais, il aurait
lâché un tonitruant « MERDE ! » d’exaspération. Pourtant, le général niera toute sa vie avoir prononcé cette injure
devenue héroïque… Voilà pour le fameux « mot
de Cambronne » !
Après cet épisode, Cambronne est grièvement blessé par un
coup de feu au sourcil gauche. Les Anglais le font prisonnier, mais le traitent
avec égards. De retour en France à sa libération en septembre 1815, il passe devant le conseil de guerre pour trahison… Fort heureusement, il est
acquitté. Il se retire un temps auprès des siens à Nantes, puis réintègre
l’armée. Il est décoré de l’ordre de Saint-Louis et Louis XVIII lui attribue le titre de vicomte. En 1823, il
prend sa retraite. Pierre Cambronne décède à Nantes en 1842, à l’âge de 72 ans.
La ville de Nantes lui élèvera une statue
en 1848.
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