samedi 16 février 2013

Le Prédicateur - Camilla Läckberg (2)


[…]

Une sonnerie persévérante à la porte interrompit Erica alors qu’elle était en train de passer l’aspirateur. Elle transpirait abondamment et elle écarta quelques mèches trempées de son visage avant d’ouvrir la porte. Ils avaient dû conduire comme des dératés pour être déjà là.

-Salut ma grosse !

Deux bras costauds la serrèrent dans un étau, elle n’était pas la seule à transpirer ! Le nez profondément dans l’aisselle de Conny, elle comprit qu’elle-même devait sentir la rose et le lilas comparée à lui.

Après s’être dégagée de son étreinte, elle dit bonjour à Britta, la femme de Conny, en se contentant de lui serrer poliment la main. Après tout elles ne s’étaient rencontrées qu’à quelques rares occasions. Britta avait une poignée de main humide et molle qui vous donnait l’impression de serrer un poisson mort. Erica frissonna et maîtrisa son envie d’aller s’essuyer la main.

-Waouh, quel ventre ! C’est des jumeaux que tu as là-dedans ou quoi ?

Erica n’aimait pas du tout voir son corps commenté de cette façon, mais elle avait fini par comprendre que la grossesse laissait le champ libre à tout un chacun pour avoir une opinion sur sa morphologie et tâter son ventre d’une manière beaucoup trop familière. Il était même arrivé que de parfaits inconnus s’approchent et posent sans façon la main sur son ventre. Elle se prépara à cela et effectivement Conny ne tarda pas à s’y mettre.

-Oh, mais c’est un petit joueur de foot que tu as là ! Avec des coups de pied comme ça, c’est forcément un garçon. Venez sentir ça, les enfants !

Erica n’eut pas la force de protester et elle fut aussitôt attaquée par deux paires de mains pleines de glace qui tachèrent sa tunique de grossesse blanche. Heureusement, Lisa et Victor, du haut de leurs six et huit ans, se désintéressèrent vite de la question.

-Et que dit l’heureux père ? Il compte les jours, non ?

Conny n’attendit pas la réponse, les dialogues n’étant pas son fort.

-Eh oui, la vache, je me rappelle quand mes propres morveux sont venus au monde. Une sacrée expérience. Mais dis-lui de ne surtout pas regarder du côté où ça se passe. Ça vous fait perdre toute envie pour un bon bout de temps après.

Il gloussa et donna un coup de coude à Britta. Elle répondit d’un regard acide. Erica réalisa que la journée serait longue. Pourvu que Patrick rentre à une heure décente !

[…] Un instant Patrick se demanda s’il s’était trompé d’endroit. Ceci ne pouvait quand même pas être la maison calme et tranquille qu’il avait quittée le matin même. Le niveau sonore était bien supérieur à celui qui est autorisé dans la plupart des lieux de travail, et on aurait dit que quelqu’un y avait lancé une grenade. Des affaires qui ne lui appartenaient pas gisaient éparpillées partout, et tous les objets de la pièce semblaient avoir été déplacés. À en juger par l’expression d’Erica, il aurait sans doute dû être de retour au moins une heure plus tôt.

Interloqué, il compta deux enfants seulement et deux adultes et il se demanda comment ils s’y prenaient pour faire à eux seuls autant de bruit que toute une halte-garderie. La télé était allumée et la chaîne Disney hurlait à plein volume, un petit garçon courait derrière une fille plus petite encore et la menaçait avec un pistolet à eau. Les parents des deux garnements étaient tranquillement installés sur la véranda, un gros balèze adressa des signes joyeux à Patrik, mais ne se donna pas la peine de se lever, cela l’aurait obligé à abandonner le plat de gâteaux sur la table.

Patrik alla rejoindre Erica dans la cuisine et elle s’effondra dans ses bras.

-Emmène-moi loin d’ici, je t’en prie. J’ai dû commettre un péché effroyable dans une vie antérieure pour qu’on m’inflige ça. Ces mômes, ils ne sont pas humains, ce sont de petits diables déguisés et Conny est – Conny. Sa femme n’a quasiment pas ouvert la bouche et elle a l’air tellement aigri que ça fait tourner le lait. Au secours, il faut qu’ils repartent vite !

Il la consola en lui tapotant le dos, sa tunique était trempée.

-Va prendre une douche tranquillement, je vais m’occuper des invités un petit moment. Tu dégoulines de sueur.
-Merci, tu es un ange. Il reste encore du café. Ils en sont à leur troisième tasse, mais Conny a laissé entendre qu’il prendrait bien un truc plus corsé, tu pourrais vérifier ce qu’on a comme alcool.
-Je m’en occupe, ma chérie, allez ouste, avant que je change d’avis.

Il reçut un bisou de reconnaissance.

-Je veux une glace.

Victor était venu se glisser juste derrière Patrik et le menaçait de son pistolet à eau.

-Je suis désolé, on n’en a pas.
-T’as qu’à aller en acheter.

La mine effrontée du gamin mit Patrik hors de lui, mais il fit de son mieux pour avoir l’air sympa et dit aussi gentiment que possible :

-Non, certainement pas. Il y a des gâteaux là-bas sur la table, ça devrait suffire.
-Je veux une glaaaaace !!! Le môme hurlait et trépignait, il était écarlate.
-Il n’y a pas de glace, je viens de te le dire ! La patience de Patrik était à bout.
-UNE GLACE, UNE GLACE, UNE GLACE, UNE GLACE…

Victor n’abandonnait pas si facilement. Mais les yeux de Patrik devaient signaler que les bornes étaient dépassées, parce que le gosse se tut et recula lentement hors de la cuisine. Puis, en pleurant, il courut rejoindre ses parents qui ne prêtaient aucune attention au tumulte dans la cuisine.

-PAPAAA, le monsieur est méchant ! Je veux une GLAAACE !

Patrik essaya de faire la sourde oreille et alla saluer ses visiteurs, en leur apportant du café. Conny se leva et tendit la main et Patrik eut droit à la poignée de main froide et humide de Britta, lui aussi.

-Victor est dans une phase où il teste les limites de sa volonté. On ne veut pas le brimer dans son développement personnel, on le laisse trouver par lui-même la ligne de démarcation entre ses souhaits et ceux de son entourage.

Britta regarda tendrement son fils et Patrik se souvint vaguement qu’Erica avait raconté qu’elle était psychologue. Si c’était ça, sa conception de l’éducation d’un enfant, le petit Victor allait avoir un besoin criant de ce corps de métier quand il serait grand. Conny ne semblait guère avoir remarqué ce qui se passait et il fit taire son fils en lui fourrant tout bonnement un gros bout de gâteau dans la bouche. À en juger par les rondeurs de l’enfant, la méthode devait être utilisée souvent. Patrik fut quand même obligé de reconnaître qu’elle était efficace et séduisante dans toute sa simplicité.

Erica revint, douchée et bien plus détendue, juste quand Patrik avait fini de préparer la table. Il avait aussi eu le temps d’aller chercher des pizzas pour les enfants après avoir réalisé avec beaucoup de lucidité que c’était la seule façon d’éviter une catastrophe totale pour le repas.

Tout le monde s’installa et Erica fut sur le point d’ouvrir la bouche pour dire « bon appétit, servez-vous » quand Conny plongea ses deux mains dans le grand bol de crevettes. Une, deux, trois grosses poignées atterrirent sur son assiette, il n’en laissa même pas la moitié.

-Mmm, j’adore. Là, vous allez voir quelqu’un qui sait manger des crevettes.

Conny se tapa fièrement le ventre et attaqua sa montagne de petits crustacés. Patrik, qui avait servi la totalité des deux kilos qu’il avait achetés hors de prix, soupira et prit une toute petite poignée. Erica fit de même, les dents serrées, puis elle passa le plat à Britta qui se servit du reste d’une mine boudeuse.

Après le dîner raté, Erica et Patrik préparèrent la chambre d’amis et se retirèrent tôt, prétextant qu’Erica avait besoin de se reposer. […]


Extrait du livre : « Le Prédicateur », de Camilla Läckberg, éd.Actes Sud.  






L’auteur :

Camilla Läckberg
Camilla Läckberg est née en 1974 à Fjällbacka, petit port de pêche de la côte ouest de la Suède, qui sert également de décor à ses intrigues policières. Après avoir été économiste, elle se lance dans l’écriture d’une série à succès où elle met en scène Erica Falck et Patrik Hedström. Les différents tomes de cette série sont tous publiés chez Actes Sud :

  1. « La Princesse des glaces »,  en 2008 pour l’édition française
  1.  « Le Prédicateur », en 2009
  1.  « Le Tailleur de pierre », en 2009
  1. « L’Oiseau de mauvaise augure », en 2010
  1.  « L’Enfant allemand », en 2011
  1.   « Les Sirènes », en 2012

Passionnée de cuisine, Camilla Läckberg a écrit un recueil de recettes. Ses trois enfants lui ont également inspiré des livres.

L’histoire :

C’est l’été à Fjällbacka, petit port touristique de Suède. Un enfant trouve au fond d’une grotte le cadavre d’une femme, posé sur deux squelettes. L’inspecteur Patrik Hedström découvre rapidement qu’il s’agit du corps d’une jeune touriste venue camper dans la région et que cette mort est liée à d’anciennes affaires non résolues à l’époque. Peu après, deux jeunes filles disparaissent. Faut-il  craindre la présence d’un tueur en série ? Au cours d’une enquête policière ardue, l’inspecteur finira par soupçonner la famille de feu le « Prédicateur » Ephraïm Hult, une famille dont le passé recèle bien des zones d’ombre.
Une véritable course contre la montre s’engage alors, et Patrik Hedström va tout faire pour retrouver les filles vivantes…   

Mon avis :

On ne lit pas du Camilla Läckberg pour son style ou sa plume. L’écriture est minimaliste, les personnages souvent caricaturaux et certaines situations sont peu vraisemblables. De plus, le lecteur est confronté à une pléthore de prénoms et de noms qui sèment la confusion dans son esprit en début de récit (j’ai dû me dessiner un petit arbre généalogique de la famille Hult pour m’y retrouver…).

Mais l’auteure sait ménager  le suspense avec un jeu de fausses pistes et des petits chapitres qui s’interrompent au moment où les choses deviennent intéressantes pour le lecteur. Elle  distille son humour dès qu’une bonne occasion se présente et crée ainsi des scènes cocasses (extrait ci-dessus), qui amènent un peu de légèreté dans une histoire parfois glaçante. De plus, elle  aime développer la psychologie de ses personnages, enrichissant ainsi le récit de chapitres diversement colorés.  Cette alternance d’ambiances maintient l’attention du lecteur et le mène d’un pas sûr,  jusqu’à la conclusion de l’intrigue.

Au final, un livre parfait lorsqu’on veut lire un roman facile et distrayant. Seulement attention : le livre est conçu comme un feuilleton télévisé. L’enquête trouve bien un épilogue, mais il faut lire le volume suivant pour connaître la suite de certaines situations pourtant développées tout au long du récit. Je pense en particulier à la grossesse d’Erika, la compagne de l’inspecteur, dont on nous explique en long et en large tous les maux, et qui accouche à la fin du livre, sans qu’on sache même s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille. La suite au prochain épisode... Voilà sans nul doute une stratégie commerciale très efficace !

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