vendredi 8 mars 2013

Art poétique - Paul Verlaine


De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’Indécis au Précis se joint.

C’est des beaux yeux derrière des voiles,
C’est le grand jour tremblant de midi,
C’est, par un ciel d’automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !

Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !

Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L’Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l’Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l’éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d’énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ?

Ô qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?

De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.

Que ton vers soit  la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littérature.

                Paul Verlaine






L’auteur :

Paul Verlaine naît à Metz, France, en 1844. Enfant unique, longtemps attendu, il grandit avec sa cousine, Elise Moncomble,  une fillette orpheline recueillie par ses parents. Paul est un élève médiocre, mais il est passionné de dessin et de littérature.

Il devient un adolescent difficile et est mis en pension. A 14 ans, il rêve déjà de devenir poète et envoie un texte intitulé « La mort » à Victor Hugo. En 1861, sa cousine, dont il est amoureux, se marie avec un riche entrepreneur.

Elise Moncomble
Il obtient son bac en 1862, mais choisit d’abandonner les études.  Il  préfère fréquenter les cafés littéraires.  

Paul Verlaine
Pour subvenir à ses besoins, il s’engage comme employé dans une compagnie d’assurances, puis  à la mairie de Paris. En 1866, à 22 ans, il publie son premier recueil de poèmes à compte d’auteur, financé par  sa cousine Elise : « Poèmes saturniens ». Le livre ne rencontre qu’un succès mitigé. En 1867, sa cousine meurt en couches. Paul est désespéré ; il plonge dans l’alcoolisme et devient violent avec sa mère, tentant même de la tuer.  Heureusement, Paul rencontre Mathilde Mauté, tombe amoureux d’elle et se marie en 1870.


Un an plus tard, naît leur unique enfant, Georges. Paul reçoit alors les poèmes d’un adolescent  de 16 ans, Arthur Rimbaud. Ils se rencontrent.

Arthur Rimbaud
Au cours de cette période, le mariage de Verlaine bat sérieusement de l’aile en raison de violences conjugales (le couple se séparera officiellement quelques années plus tard).
Verlaine choisit  de quitter sa famille pour  rejoindre Rimbaud avec lequel il entretient une liaison homosexuelle. Dès lors, commence une vie de bohème entre l’Angleterre et la Belgique. Leur relation devient très vite orageuse. En 1872, Verlaine quitte Rimbaud et part à Bruxelles. Peu après, gagné par l’ennui, il lui demande de le rejoindre. Une altercation éclate et Verlaine, en état d’ivresse,  tire au revolver sur Rimbaud, qui est légèrement blessé à la main. Cet épisode violent marque la fin de leur relation.  Verlaine est arrêté, jugé et condamné à 2 ans d’emprisonnement. Au cours de son incarcération, il est touché par la foi, ses poèmes en témoignent (« Sagesse »). Ce revirement ne sera que temporaire : Verlaine sera toujours déchiré entre ses aspirations et ses rechutes dans l’immoralité.
A sa sortie de prison, il part pour l’Angleterre et devient enseignant (grec, latin, français, dessin). Il  se prend d’une amitié « filiale », certaines sources parlent d’amitié «  ambigüe », pour l’un de ses élèves, Lucien Létinois, âgé de 18 ans.

Lucien Létinois
Tous deux s’installent en France, dans une ferme achetée par Verlaine. En 1883, Lucien meurt d’une fièvre typhoïde. Paul est  au fond du gouffre : il boit sans retenue, mène une vie de débauche. Il s’en va vivre à Paris, s’installe chez sa mère. 

Paul Verlaine
Mais son alcoolisme le pousse encore à la violence et, et 1885, il tente par deux fois de tuer sa mère : il est condamné à un an de prison pour coups, blessures et menaces de mort. Paul est libéré après deux mois de détention, grâce à l’intervention de sa mère, qui décèdera de mort naturelle l’année suivante. A partir de là,  le poète maudit mène  une vie agitée, habitant par intermittence dans des meublés sordides ou chez des prostituées. Sa santé se dégrade et il doit maintes fois se faire hospitaliser : il est atteint de diabète, d’ulcères aux jambes, de syphilis, de rhumatismes. Sa vie est  misérable, il sombre dans la déchéance. Paradoxalement, c’est à cette époque qu’il devient célèbre. On se presse dans les cafés où il vient goûter à la fée verte, l’absinthe, la faiblesse de toute une vie... Pour survivre, il donne des conférences dans les milieux littéraires, et anime des « mercredis poétiques ».

Paul Verlaine au café
En 1894, les jeunes lecteurs du « Journal », le nomment «  Prince des poètes ». Cette distinction démontre sa popularité, il est même devenu un exemple pour la jeune génération. Touchés par l’extrême dénuement de Verlaine, des amis se cotisent pour lui verser une rente. En 1896, à 51 ans, une congestion pulmonaire l’emporte. Le jour de ses obsèques, une foule de 3000 personnes suit le convoi funéraire. Des discours sont prononcés. Il est inhumé à Paris, dans le caveau familial, auprès de ses parents.
Petite anecdote : le lendemain de ses funérailles, des articles sont publiés dans la presse, relatant la chute du bras de la statue de la poésie  qui orne le faîte de l’Opéra, exactement  à l’endroit où le corbillard de Verlaine était passé quelques heures auparavant…
Paul Verlaine aura écrit de son vivant une dizaine de recueils de poèmes, tous inspirés de son vécu et de ses expériences personnelles. Deux recueils posthumes de poèmes érotiques ont également été publiés.
Si vous désirez entrer dans le détail de la vie de Paul Verlaine, je vous suggère de vous rendre à l’adresse suivante : http://www.mag4.net/Verlaine/Biographie.html

Le poème :

Ce poème a été écrit en 1874, alors que Verlaine était incarcéré après avoir tiré sur Rimbaud. Il n’a été  publié qu’en 1884 dans le recueil « Jadis et naguère ».

Ce poème est précurseur du mouvement symboliste.  Verlaine tranche avec le carcan du traditionnel alexandrin, et préconise l’emploi de rythmes impairs et d’une forme poétique plus libertaire.  Il recherche avant tout, la fluidité du langage, ainsi que sa musicalité. Verlaine préfère évoquer, suggérer, habiller une idée avec des images ou des analogies, plutôt que de la délivrer, à nu, sous une forme descriptive. De la demi-teinte, rien que de la demi-teinte …

7 commentaires:

  1. J'ai réussi mon exposer sur Paul Verlaine et celui de Arthur Rimbaud grace a vous merci beaucoup

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    1. J'en suis très heureuse ! C'est gentil de vous être donné la peine de laisser ce message...
      Un grand merci pour votre visite sur "Textes à tout vent" !

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  2. Je découvre ce blog à l'instant et je suis impressionné par la qualité de la documentation et de l'écriture. Bravo !

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    1. Vous êtes trop indulgent...mais votre message me fait vraiment plaisir, je vous en remercie:). Un très bel été à vous!

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  3. Je suis impressionné par la documentation sur ce blog. Merci beaucoup, cela m'a aidé à faire mon analyse sur ce poème. Bonne soirée :-)

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